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les notions que nous formons ne s’imposent pas à la nature. Elles se bornent à répartir les êtres en séries d’après des ressemblances qui restent toujours quelque peu superficielles, d’où il suit qu’aucune classification n’est complètement indemne d’artifice. Rien là qui garantisse la fixité du type. Effectivement, la science tend à remplacer la classification par la généalogie. Il ne servirait pas d’en appeler au principe d’identité : comme Hegel l’a bien vu, il gouverne la logique et non les choses.

Pareillement, le principe mécanique de conservation de la force, d’après quoi la quantité mesurable demeure la même à travers toutes les décompositions et recompositions de mouvemens, ne peut s’étendre à tout. Il ne vise que la quantité, donc l’aspect extérieur, lui aussi, des êtres et des choses ; il n’atteint pas leur nature spécifique, la qualité. Expérimental, nous n’avons aucun droit de l’ériger en absolu. Outre que l’homme est hors d’état de constater une égalité complète, tout résultat, d’ailleurs, n’est-il pas nouveau par rapport à ses antécédens, même en mécanique ? « Il y avait plusieurs forces : il n’y en a plus qu’une, constate M. Boutroux. Ces forces avaient certaines directions : c’en est une autre. Quelque chose était, qui n’est plus ; quelque chose n’était pas, qui est. » Tout changement suppose, en définitive, anéantissement et création. Il serait oiseux d’objecter que ce sont les qualités des choses qui varient et, par conséquent, des apparences. Rien n’autorise à considérer les qualités comme de faux semblans. Ce serait lâcher la proie pour l’ombre. Du reste, en quoi consiste, au juste, l’élément dont on affirme la permanence ? Est-ce la quantité pure ? Ce n’est qu’une abstraction. Est-ce la quantité de plusieurs qualités ? On ne peut comparer qu’une seule et même qualité. Est-ce la quantité d’une seule et même qualité : le mouvement ? Non, répond derechef M. Boutroux, qui devient de plus en plus pressant, car, laquelle des deux est la substance, de cette quantité abstraite ou de cette qualité en fluctuation perpétuelle ? Trouve-t-on même dans une qualité aussi élémentaire que le mouvement l’identité parfaite que supposent les mathématiques abstraites ? Non toujours, car cette identité-là n’existe pas entre tous les mouvemens réels. C’est donc bien se mettre en dehors des conditions mêmes de la réalité que d’envisager, comme en use le principe de la conservation de l’énergie, la quantité relativement