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n’arrive sans cause, » et, par conséquent, que « rien ne se perd et rien ne se crée, » autrement dit que « la quantité d’être demeure immuable, » ce qui, au temps où M. Boutroux écrivait, paraissait à la grande majorité des savans la suprême expression de la nécessité. De l’avis de M. Boutroux, il n’en est rien. Aussi bien, ce principe, qui a l’air antérieur à toute expérience, dans la réalité en vient, la notion d’être n’impliquant en aucune manière l’idée du changement dont, en somme, il formule la loi. Ne signifie-t-il pas que « tout changement est déterminé et tel qu’il n’y ait jamais plus dans le conditionné que dans la condition ? » Issu de l’expérience, il ne saurait la gouverner.

Forme abstraite et purement extérieure de nos observations, ce principe n’est point identique à la réalité ; il ne s’y ajuste pas non plus intégralement. Comment le pourrait-il ? Toutes nos mesures sont approximatives. Atteint-on seulement le point précis où un phénomène commence et celui où il finit ? Peut-on fixer avec exactitude l’instant où l’eau se met à bouillir et la glace à fondre ? Bon gré mal gré, nous sommes condamnés à l’a peu près. Qu’est-ce qui nous garantit, dès lors, que les phénomènes ne sont pas indéterminés dans une mesure qui échappe à nos grossiers moyens d’évaluation ? Par surcroit, il n’est point conforme à l’expérience d’admettre entre la cause et l’effet une égalité absolue qui empêcherait de les distinguer. L’hypothèse d’une quantité vierge de qualité, dans laquelle on se réfugie pour situer cette équivalence sous l’apparence sensible, est chimérique, toute quantité devant bien être la quantité de quelque chose. Le point de vue quantitatif est tout superficiel. « C’est ainsi que les astres vus de loin, souligne M. Boutroux, n’apparaissent que comme des figures géométriques, tandis que, en réalité, ils sont des mondes composés de mille substances diverses. » En affirmant la conservation absolue de l’être, le principe de causalité n’énonce qu’une propriété très générale, qui, loin de bannir le changement, en dérive, puisque, si changement il y a, — ce qui est manifeste, — on comprend bien comment la permanence en peut résulter, mais non comment celle-ci produirait celui-là

M. Boutroux fait d’identiques remarques à propos des types de faits ou d’êtres que désignent nos idées générales. Ces types ne sont pas immuables. Conçues par l’esprit après observation,