Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/846

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’existe peut-être pas un nombre fini de conditions mécaniques d’où les phénomènes physiques résulteraient infailliblement. Pour la vie, ce semble incontestable : il ne suffit pas, pour qu’elle apparaisse, de circonstances physiques. Jusqu’à nouvel ordre, la génération spontanée, que Pasteur a victorieusement combattue, est un mythe. Plus outre, la biologie soutient vainement que la présence d’un système nerveux coïncide toujours avec la conscience. Nous n’en savons rien. Et puis, quand cela serait, rétorque M. Boutroux, qui nous dit qu’il ne résulte pas de la conscience même posant ses propres conditions ? « Si l’aurore annonce le soleil, c’est qu’elle en émane. » Ce qui autorise à le croire, c’est la disproportion fondamentale qui existe entre la conscience et l’innervation, entre un mouvement du cerveau et la plus humble de nos sensations, fut-ce la sensation de bleu ou d’amertume. Le matérialisme vient se heurter là contre.

De ces observations, M. Boutroux conclut que, si les divers phénomènes que présentent les êtres, depuis le minéral jusqu’à l’homme, ne découlent pas logiquement des plus simples, ils n’en éclosent pas moins comme d’une graine dont la substance s’épanouirait nécessairement en eux. Il n’y a donc pas plus de nécessité de fait que de nécessité logique, pas plus d’impossibilité effective que de contradiction à ce que le monde s’étage, en quelque sorte, autrement que nous le voyons.

Toutefois, cette nécessité, qui ne se rencontre pas quand on monte d’un ordre à l’autre, ne se trouve-t-elle pas à l’intérieur de chacun d’eux ? Les lois de la nature, qu’elles soient mathématiques, mécaniques, physiques, chimiques, biologiques ou psychologiques, laissent-elles la moindre place à la contingence ou à l’accident, chacune dans sa circonscription ? Ne témoignent-elles pas, au contraire, de rapports nécessaires, non pas même de fait, mais de droit entre les phénomènes qu’elles relient ? On ne peut tout ramener aux mathématiques, c’est entendu ; ne peut-on, du moins, y trouver un équivalent de cette nécessité interne ? N’est-ce pas, du reste, cette coïncidence, qui, à défaut de réduction des faits complexes aux faits simples, permet d’appliquer le nombre à tout ce qui tombe sous les sens ?

En abordant ce nouveau problème, M. Boutroux rencontre, dès ses premiers pas, le principe de causalité sur lequel repose l’édifice scientifique. Ce principe, en effet, stipule que « rien