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avons mis. Le jugement est une synthèse, une affirmation qui relie un attribut à un sujet, et point du tout une analyse qui consisterait à l’en dégager. Pareillement, le syllogisme n’opère pas par division, mais par fusion, en quelque sorte, de deux jugemens, dont un troisième découle.

D’autre part, le passage d’un ordre naturel à l’autre ne saurait être envisagé comme une nécessité de l’esprit, puisque les idées entre lesquelles le jugement devrait énoncer un lien nécessaire proviennent de l’expérience et, a fortiori, leur liaison.

Donc, conclut M. Boutroux, point de nécessité logique qui nous permette de développer le monde en partant d’une idée initiale sans recourir à l’expérience. Pour connaître les différens ordres qui se superposent dans la réalité, il nous faut ouvrir les yeux ; le raisonnement ne suffit pas. Aussi bien, il n’y aurait rien d’absurde, ni d’inconcevable, à ce que les choses fussent différentes de ce que nous les pouvons constater : pour qui n’aurait jamais franchi le seuil de son cabinet, le spectacle du monde s’offrirait imprévu.

Ce caractère d’inédit, qui distingue chaque ordre de celui qui le précède dans la hiérarchie des valeurs, ne vient pas non plus de la combinaison d’élémens plus simples, les différences de qualités de différences quantitatives. Il est faux de prétendre que les faits supérieurs dépendent uniquement des inférieurs, comme si ceux-ci produisaient ceux-là. Contre ces assertions d’une certaine science expérimentale, M. Boutroux retourne ses propres argumens : les faits eux-mêmes.

Comment soutenir, par exemple, que les propriétés mathématiques sont des propriétés nécessaires de l’être, alors qu’il existe beaucoup de choses que nous ne pouvons évaluer, notamment la consciences^ Le mouvement, du reste, par quoi tout se mesure, ne répugne-t-il pas, déjà, à la numération en ce qu’il présente de spécifique ? Quant aux propriétés physiques, elles ne sont pas du mouvement transformé. À y regarder de près, on ne prouve pas, en effet, la transformation des forces les unes dans les autres, mais la transformation du mouvement en mouvemens différens, conditions eux-mêmes des phénomènes physiques proprement dits. Le mouvement, par exemple, ne se convertit pas en chaleur : il se mue simplement en mouvemens d’un autre genre, dans la circonstance en mouvemens moléculaires sous-jacens aux propriétés caloriques. D’ailleurs, il