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nature ? Et si cela ne se peut, n’est-on pas du moins obligé, à la suite de Kant, de reconnaître cette liaison comme inhérente à l’esprit humain, en ce sens qu’il nous serait impossible, de par la constitution même de notre raison, de comprendre les choses autrement ? Enfin, si aucun de ces partis n’est viable, la science expérimentale est-elle justifiée à ramener le supérieur à l’inférieur et, de proche en proche, les manifestations les plus hautes de la vie aux plus élémentaires, la vie elle-même aux propriétés physiques et chimiques et celles-ci au mouvement ? En d’autres termes, si l’on ne peut a priori, c’est-à-dire avant toute expérience, faire dériver toutes choses de quelque notion primordiale, ne peut-on, en fait, tout réduire à la mécanique ou, plus exactement, à la mathématique universelle ? N’est-ce pas, précisément, à une telle réduction que la science moderne est redevable de ses progrès, ainsi qu’en témoigne l’essor de la physique du jour où, sur l’initiative de Descartes, on réussit à lui appliquer le calcul ?

M. Boutroux part du possible, qui est la plus abstraite et la plus générale de nos idées, et il démontre, en réponse aux deux premières questions, qu’on ne saurait déduire logiquement, soit par analyse de leur contenu, soit par exigence de notre pensée, les faits complexes des faits simples, la qualité de la quantité et celle-ci de la logique pure ou même appliquée.

D’une part, ni le possible ne contient l’idée d’être, puisque nous imaginons un grand nombre de possibles qui ne sont pas réalisés ; ni l’idée d’être les catégories et les genres entre lesquels la réalité se répartit, puisque rien n’est aussi indéterminé que ce concept ; ni ces notions la matière ou étendue mobile avec laquelle on l’identifie, car le mouvement appartient bien à l’expérience ; ni cette étendue mobile les propriétés physiques et chimiques, s’il est vrai que dans le son, la chaleur et la lumière, il n’y a pas que du mouvement ; ni les qualités physico-chimiques les fonctions organiques, l’être vivant possédant la faculté de se nourrir, de se développer, de se reproduire et de modifier lui-même ; ni, en dernier lieu, ces fonctions la vie consciente, qui se présente, à tout regard non prévenu, comme une donnée sui generis. D’un étage à l’autre, quelque chose de nouveau apparaît, qui, loin de pouvoir s’extraire par le raisonnement de l’ordre précédent, y ajoute. D’ailleurs, même en logique, nous ne retrouvons dans nos idées que ce que nous y