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ils s’appuient sur l’expérience. Ils n’en élèvent pas moins les relations qu’ils observent entre les faits en lois universelles et nécessaires. Plus encore, ils décomposent les faits complexes en faits simples, les lois particulières en lois plus générales, jusqu’à espérer trouver la loi unique dont toutes les autres dériveraient inflexiblement. Le monde serait ainsi, pour la science moderne comme pour Spinoza, un vaste théorème. Elle se vante de trouver au terme la nécessité qui, pour le philosophe, était au commencement. « Une intelligence, écrit Laplace, qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si, d’ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvemens des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. »

Nécessité de droit ou nécessité de fait, — ce dont le contraire ne peut pas être, — il semble donc que la science rationnelle et la science expérimentale soient d’accord pour éliminer de l’univers tout ce qui ne serait pas entièrement déterminé, toute contingence et, a fortiori, toute liberté.

Que penser d’une pareille gageure ? Le monde est-il régi, jusqu’en ses moindres détails, par une implacable nécessité ou le déterminisme de ses lois laisse-t-il quelque place à l’imprévisible et au spontané ? Enserrent-elles toutes choses, ces lois, comme la trame d’une tapisserie qui en composerait jusqu’aux points ou, au contraire, ne forment-elles qu’un canevas dont les mailles laissent quelque jeu à la fantaisie du dessin ? Tel est le redoutable problème, gros de conséquences diverses, théoriques et pratiques, qu’à ses débuts M. Boutroux aborda avec une lucidité d’esprit égale à sa hardiesse. Il y était encouragé par Félix Ravaisson, dont le petit livre sur l’Habitude dénonçait sous le mécanisme de la nature une activité spirituelle assoupie. En témoignage de reconnaissance, il lui dédia sa thèse.

Et d’abord, est-il exact que les faits les plus complexes dérivent uniquement des plus simples, la qualité de la quantité ? Peut-on déduire par voie d’analyse, ainsi que les cartésiens l’eussent souhaité, du logique les mathématiques et de celles-ci la matière, les propriétés physico-chimiques, la vie et, finalement, la conscience, en un mot tous les aspects et tous les êtres de la