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théorie qui avait pour elle toutes les apparences d’un dogme. Il ne fallait rien moins que réviser les titres de la nécessité à gouverner le monde. En effet, le déterminisme, qui enseigne que rien n’existe sans cause, n’est adopté par les savans qu’en connexion avec la plus rigoureuse nécessité. De cette alliance naît le principe des lois, qui affirme que non seulement les mêmes causes produisent les mêmes effets, mais qu’elles ne peuvent, n’ont pu et ne pourront jamais en produire d’autres. Pour le déterminisme ainsi conçu, un fait quelconque ne peut avoir lieu, en définitive, que dans des conditions toujours identiques qui en rendent pleinement raison. De quelque côté qu’on l’aborde, par le rationnel ou l’expérimental, la science semble bien impliquer ou reconnaître pareille nécessité. Mathématique ou physique, ne vise-t-elle pas à l’absolu et, sous le changeant, à l’immuable ?

Depuis le XVIIe siècle, deux conceptions de la science, inverses, mais pareilles, ont successivement dominé, avec la nécessité la plus implacable, — je veux dire la nécessité logique, celle dont le contraire ne peut pas même être conçu, — l’une au départ, l’autre à l’arrivée.

D’accord avec les Grecs qui faisaient consister la science dans la recherche des causes premières. Descartes pensait que tout en devait découler logiquement. Ayant ramené la matière à l’étendue, sous prétexte que de toutes les propriétés sensibles, c’est la seule dont l’esprit puisse acquérir une connaissance claire et distincte, donc évidente, il se flattait, en lui associant le mouvement, de refaire le monde. Spinoza, son disciple, imprime une forme plus rigoureuse encore à ses raisonnemens. Après avoir défini Dieu, ou la substance, « ce qui est en soi et est conçu par soi, » il en déduit le monde des esprits et des corps more geometrico. Enfin, Kant, pour avoir dénié aux idées toute valeur objective, transporte la nécessité des choses dans l’esprit, qui, en retour, l’impose a la nature. Comme Platon bannissait les poètes de sa République en les couronnant de fleurs, il relègue la liberté, dont il fait l’une des conditions de la moralité, dans un monde transcendant, dans le monde des non mènes opposé à notre monde phénoménal.

Par une marche inverse, les savans d’aujourd’hui arrivent à un semblable résultat. Au lieu de partir de l’unité rationnelle,