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à tout expliquer, fût-ce le problème des origines et des fins. Ainsi s’est formée, sous l’impulsion de M. Boutroux, toute une phalange de philosophes et de savans, avec M. Bergson en tête, qui explore la vie psychique, rencontre la liberté, réintègre l’intuition comme instrument de connaissance et, du même coup, donne au sentiment religieux un point d’appui dans l’expérience intime. La philosophie des sciences, la psychologie, la métaphysique et la philosophie proprement religieuse sont redevables à M. Boutroux, directement ou non, de leurs plus récentes découvertes, sans compter que la spéculation philosophique en général qui lui doit de sa prospérité présente pour une part d’autant plus grande qu’il en a maintes fois défendu l’imprescriptible légitimité contre ses détracteurs.

Cette influence de M. Boutroux sur la pensée contemporaine s’est exercée avec d’autant plus d’efficacité qu’il s’affirme toujours un excellent écrivain. Soucieux de ne livrer au public que le résultat de ses méditations, il parle et écrit en honnête homme, ce qui ne veut pas dire qu’il soit dénué de profondeur, — bien au contraire, s’il est vrai que, dans la patrie de Descartes et de Malebranche, l’on peut tout dire en termes polis. M. Boutroux, qui a beaucoup fréquenté Pascal, tient de lui l’art de persuader : il convainc et il agrée.


I

Quand parut, en 1874, la thèse de M. Boutroux sur la Contingence des lois de la Nature, le déterminisme régnait en maître malgré les efforts de Renouvier, qui tâchait de « délier » le monde en réduisant les lois de la nature à de simples successions de phénomènes, et ceux de M. Lachelier, qui démontrait que l’induction, — ou raisonnement par lequel nous érigeons en lois universelles des rapports de causalité dûment constatés, — suppose non seulement le principe des causes efficientes, mais celui des causes finales, qui permettent une certaine variété ou contingence de moyens dans la poursuite d’un même but. La liberté était, avec la responsabilité, exclue des actes de l’homme ; la croyance en elle taxée d’illusion ; la vertu et le vice assimilés à des produits comme le vitriol et le sucre.

Ce n’était pas une mince entreprise de s’attaquer à une