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tranquilles ; les troupes bivouaquaient autour des feux et de nombreuses patrouilles parcouraient la ville dans tous les sens, :

De retour chez moi, je n’ai fait que changer de costume et je me suis rendu au bal chez M. Schikler, sur la place Vendôme. Là aussi, veillaient de nombreux détachemens de troupes de ligne et de garde nationale.

Un seul petit incident troubla cette superbe fête ; dans la nombreuse assemblée s’était introduit un voleur : pendant qu’on était à souper, il mit dans sa poche des fourchettes et autres objets en vermeil. Un des jeunes gens présens au bal s’en aperçut et le prit au collet. Il se défendit, comme de raison. Les femmes, qui ne perdent jamais une occasion de crier, poussèrent des cris épouvantables et mirent par là toute la salle en émoi.

— On pille, criait-on, on pille ; l’émeute est dans la salle du souper !

Il fallut une bonne demi-heure pour remettre à la raison toutes ces têtes de femmes et d’hommes, car j’en ai vu trembler plus d’un. C’est un drôle d’assemblage d’émeutes, d’épouvante, d’amusemens, de gaîté, de tristesse, d’insouciance, de sollicitude, d’incidens graves et burlesques, de musique, de chant, de danse, de cris de sédition, de lamentations de blessés et d’expirans, que cette journée du 2 mars. Tant d’émotions diverses usent l’âme et le corps. Je me sens fatigué du monde des hommes, de ce tourbillon dans lequel je me trouve entraîné. Partout l’égoïsme le plus hideux se montre dans toutes les formes. Enfin, j’ai besoin de quitter cette ville pour chercher ailleurs des hommes, des mœurs, de l’amour, de l’amitié sans intérêt. C’est demain que je quitte Paris. Dans peu de jours, je serai dans vos bras[1] !


COMTE RODOLPHE APPONYI.

  1. Ce Journal était adressé, par le comte Rodolphe, à la seconde femme de son père pour laquelle il eut toujours une tendresse filiale.