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ajoutait encore plus à l’horreur du spectacle. Jusque sous le portique du palais, de hideuses figures approchaient jusqu’aux glaces de notre voiture en menaçant les aristocrates.

Jamais, depuis que nous allons au Palais-Royal, l’entrée dans son intérieur ne nous a fait plus de plaisir que cette fois-là Si le danger n’avait pas encore entièrement cessé pour nous et ceux qui se réunissaient dans ce funeste palais, au moins ces gardes nationaux, ces suisses, ces domestiques, pas trop tranquilles eux-mêmes, nous rassuraient cependant.

Le Roi et la Reine nous reçurent comme à l’ordinaire. Cependant, de temps en temps, les aides de camp du Roi s’approchaient de lui, et les personnes qui l’entouraient cherchaient à attraper quelque chose de la relation qui se faisait à voix basse, ou bien l’on faisait des conjectures basées sur l’expression de la figure du Roi pendant qu’il parlait avec son aide de camp.

Les chanteurs et les cantatrices arrivèrent pâles et tremblans et chantèrent faux pendant une grande moitié de la soirée. Tout à coup, le bruit se répand que ni la troupe de ligne, ni la garde nationale ne pouvaient plus lutter contre le nombre. Effectivement, même à travers les sons de l’orchestre, on entendait les vociférations et les cris épouvantables d’une populace effrénée qui voulait, disait-on, venir jusqu’ici et planter l’arbre de la Liberté sur les terrasses du Roi. Sa Majesté elle-même qui, jusqu’à ce moment, avait fait assez bonne contenance, devint inquiète. Elle approcha des croisées pour voir ce qui se passait dans les cours, et n’en parut pas satisfaite ; elle sortit dans le vestibule, probablement pour donner quelques ordres, car à la voir, on ne pouvait plus douter qu’elle s’attendait à recevoir d’un moment à l’autre toute la populace des rues dans ses appartemens. Un discours à messieurs les non-invités à la fête, aurait été chose indispensable, un discours où il aurait été question de l’amitié, de la sympathie de Sa Majesté pour messieurs les héros de Juillet.

Cependant, on ouvre les battans et le Roi tout rayonnant nous arrive.

— Tout est fini, nous dit-il, tout est fini ; les hussards de Chartres ont dispersé les tapageurs.

On se confie tout bas que le combat avait été meurtrier, que plus de vingt révoltés sont restés sur place.

A notre départ, la place et les rues étaient parfaitement