Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans leur lit. Il n’en a pas été de même de l’archevêque qui, averti à temps, a disparu. M. de Vitrolles a eu le temps de faire dire par son valet de chambre, à Mme de Vaudemont, son amie, qu’elle devait être tranquille et tranquilliser ses amies ; qu’on ne trouverait rien chez lui. Effectivement, après avoir fait une perquisition la plus minutieuse, le gouvernement n’a saisi chez lui autre chose qu’une lettre qu’il avait écrite à son fils, après avoir quitté le roi Charles X à Cherbourg. Dans cette lettre, il l’exhorte à l’obéissance et à la soumission qu’il doit avoir pour Louis-Philippe, depuis que Charles X, quittant le sol français, a renoncé à la couronne de ses pères.


2 mars. — Ce soir, nous étions invités au Palais-Royal pour assister à un grand concert ; c’est pour nous jeter la poudre aux yeux et nous faire croire qu’on est sans inquiétude. Cependant, l’agitation dans Paris augmentait d’heure en heure. Si peu disposés que nous fussions à entendre de la musique pendant qu’on braillait dans les rues, il fallait cependant prendre son parti, vu que les invitations ne furent point contremandées. Nous voilà donc embarqués dans notre landau. Sur le pont Louis XVI, nous vîmes passer au grand galop un détachement de hussards de Chartres et puis des gens armés qui couraient en désordre : nous ne pûmes distinguer si c’étaient des émeutiers ou bien de la garde nationale dont beaucoup n’ont pas d’uniformes encore. Ce doute était peu plaisant, et il fallait vraiment du courage pour continuer notre chemin. Les places, les quais étaient remplis de monde et de troupes.

Arrivés sur la place du Carrousel, un des domestiques dut descendre de voiture pour voir s’il y avait moyen de passer, malgré la foule massée sur la place et dans toutes les rues qui y aboutissent. Un garde national à cheval s’approcha de la portière et nous dit qu’il allait tâcher de nous faire arriver au Palais-Royal par la rue de Chartres. Notre voiture était entourée de monde, nos chevaux ne pouvaient avancer qu’au petit pas, en sorte que nous entendions toutes les vociférations épouvantables de la populace. Sur la place du Palais-Royal, le désordre était à son comble, on refoulait avec des baïonnettes la populace qui tour à tour victorieuse ou vaincue hurlait et insultait les voitures. La place était éclairée par des torches, car les réverbères avaient été détruits dès le commencement de l’émeute, ce qui