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sur les combles, afin de pouvoir accrocher une corde à la croix. Le peuple en bas tirait sur cette corde pour tâcher de la renverser. Cette opération était accompagnée de cris épouvantables ; mais cette immense croix ne cédait point, malgré la violence avec laquelle on la tirait, et ce fut bien heureux, car si elle était tombée, elle aurait écrasé au moins une cinquantaine de personnes. Quelques gardes nationaux parvinrent à faire comprendre à ces énergumènes le danger auquel ils s’exposaient ; ils renoncèrent à leur entreprise.

De la place, je tournai la cathédrale à droite, du côté de l’Hôtel-Dieu. La rue y est fort étroite, et la populace poursuivait à coups de pierres les gardes municipaux qui y étaient placés pour défendre l’avenue de l’Archevêché. Une masse de gens, des étudians pour la plupart, se pressaient les uns contre les autres. Cette masse, à un signal convenu et en poussant des cris horribles, se précipita sur la grille ! Malheur à ceux qui se trouvaient placés entre la grille et ces gens-là Fritz Schwarzenberg fut du nombre, et je ne sais comment il s’y est pris pour n’avoir pas été écrasé. La grille ne put résister à ce choc ; elle tomba avec fracas.

Cette victoire fut saluée de vifs applaudissemens de tout le monde, car mort à celui qui n’eût pas voulu faire chorus avec la populace ! Je criai donc aussi ce qu’on beuglait autour de moi. En un instant, de la cave au grenier, tout l’archevêché fut envahi, et le pillage, qui, jusqu’à ce moment, se faisait sans ordre, s’organisa. Les uns prenaient et détachaient tout ce qu’il y avait dans les appartemens ; d’autres le brisaient et le jetaient par les croisées, du côté de la Seine. Entre le bâtiment et le fleuve, il y avait un jardin qui fut dévasté ; des gens y formaient la chaîne, se passaient de main en main tout ce qui leur arrivait par les croisées, le lançaient dans l’eau. Des espèces d’inspecteurs veillaient à ce que rien ne fût soustrait à la destruction, et ceux qui auraient voulu tenter pareil acte, auraient été traités en Jésuites, c’est-à-dire qu’ils auraient suivi les objets dans la Seine, ce qui aurait exposé à une mort presque certaine même le nageur le plus habile.

En peu d’heures, tout l’archevêché a été détruit du fond en comble. Ce palais a l’air d’une ruine de plusieurs siècles. Pendant qu’on pillait l’archevêché, je voyais passer dans les différentes rues des cabriolets remplis de masques à moitié ivres et