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nouvelles de cette déplorable affaire nous arrivèrent. Dans le commencement, on se flattait de pouvoir facilement étouffer l’émeute ; mais, d’heure en heure, les nouvelles devinrent toujours plus alarmantes. Moi et plusieurs aides de camp du Roi nous nous offrîmes d’aller voir ce qui en était et de lui rapporter tout, jusqu’aux moindres détails ; cependant, j’eus l’ordre de sortir avec ma légion et nous voilà à défendre ce quai. L’on dit que la population a l’intention de prendre d’assaut la Chambre des députés.

Il voulait continuer, mais voilà Duhamel qui me prend par le bras et m’entraîne tout à fait hors du groupe.

— Tout ce que vous voyez n’est qu’un piège que les Républicains nous ont tendu et nous avons donné dedans bien bêtement. Si nous avons la République en peu de jours, cela ne m’étonnerait point. Figurez-vous qu’on veut piller toutes les églises. Ce qui s’est passé ce matin à Saint-Germain l’Auxerrois est inimaginable. On y a abattu la croix.

— J’ai vu cela hier soir.

— Oh ! ce n’était rien encore, on y est revenu ce matin, tout est pillé et saccagé, tout est détruit intérieurement, on y a dansé la Carmagnole ; enfin, jamais cela ne s’est vu, jamais pareil scandale n’a eu lieu, pas même sous la première Révolution. Où en sommes-nous ? Dans ce moment, on pille l’archevêché, voyez-vous tous ces décombres sur la Seine ?

Effectivement, je voyais toute espèce de meubles mutilés nager sur le fleuve et des gens occupés à les en retirer avec des perches.

— Quelle singulière chose ! dis-je à M. Duhamel ; voilà des gens de la même ville, de la même classe, qui cherchent à retirer ce qu’ils auraient jeté dans l’eau, aussi bien que leurs camarades le font en ce moment, s’ils avaient été placés à quelques toises plus haut contre le courant de la Seine...

En allant le long des quais, j’arrive sur le Pont-Neuf. Je le passe pour arriver sur la place du Louvre ; mais la foule était grande et l’on forçait tout le monde à crier : « A bas la Croix ! Vive la Liberté ! » Ne voulant pas me prêter à tout cela, sans en tirer aucun avantage pour ma curiosité, je pris la direction du quai des Orfèvres et, par mille détours, j’arrivai, non sans peine et sans danger d’attraper des pierres, jusqu’à la place de l’église de Notre-Dame. On avait forcé la porte de l’église, pour monter