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que je ne lui ai jamais vue. On me dit que les choses les plus épouvantables se passent à l’archevêché, qui est livré au pillage, à ce qu’on m’assure. Je ne le croirai pas, à moins de l’avoir vu de mes yeux ; je me rendrai donc sur les lieux après mon déjeuner.


8 heures du soir. — Le Roi et sa famille n’ont pas fermé l’œil de la nuit ; il sont dans leur Palais Royal comme dans une ville assiégée où l’on s’attend d’un moment à l’autre à voir entrer l’ennemi. De l’appartement de Madame Adélaïde surtout, on entend les vociférations les plus horribles contre le Roi et les membres de sa famille.

Ainsi que je me le suis proposé, je suis sorti de bonne heure. Sur le quai, quand j’y suis arrivé, nombre de gardes nationaux se trouvaient réunis et plusieurs de ma connaissance. C’étaient MM. de l’Aigle, de Tournon, de Montyon, Duhamel, d’Hulst, et autres. Tous ces messieurs, quoique d’opinions bien différentes, servent tous dans la même légion. Je leur ai demandé ce qu’ils avaient à faire :

— Nous gardons le pont et la Chambre des députés ; il parait cependant qu’on ne compte pas trop sur nous, puisqu’il y a dans la Chambre tout un régiment d’infanterie, caché dans les cours et les salles du Palais.

Après cette conversation générale, ces messieurs, l’un après l’autre, me prirent par le bras et chacun, d’après son opinion, me tenait un langage différent :

— Concevez-vous les Carlistes, me dit M. de Montyon, les concevez-vous : nous faire un train semblable, tout détruire, tout bouleverser et pourquoi, pour courir après une chimère, car évidemment ce sont les Carlistes qui font tout cela. A quoi bon cette cérémonie pour le Duc de Berry, dans un moment où tout devient dangereux ? Il me semble que MM. les Carlistes, loin d’atteindre leur but, nous donneront par leurs menées la République.

— Dieu sait ce que nous deviendrons, nous et la pauvre France, me dit M. d’Hulst en m’enlevant à M. de Montyon ; je ne conçois rien à tout ce mouvement, tout cela ne tend à autre chose qu’à la République et nous l’aurons, vous allez voir. Tel que vous me voyez, j’ai passé toute la nuit à la belle étoile ; j’étais avec ma femme au Palais-Royal lorsque les premières