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Mme de Caraman, pendant la valse, me rapporta sa conversation avec le Duc. Comme Mme de Bauffremont et de Noailles m’avaient donné les raisons qui les ont empêchées de venir chez nous, raisons très différentes de celles auxquelles le Prince royal attribuait leur absence, j’ai cru de mon devoir de rectifier son interprétation. Cependant, l’affaire me parut trop délicate pour aborder la question avec lui sans qu’il m’en eût parlé. En cherchant des yeux, à travers mon lorgnon, la personne qu’il me fallait, je découvre Mme de Saint-Aldegonde à l’autre extrémité de la salle, debout sur la première marche du trône et appuyée contre une colonne. Après avoir donné le signal à l’orchestre de commencer la contredanse, je m’approchai de la comtesse Camille et j’ai eu avec elle la conversation que voici :

— Le Prince royal s’est plaint de l’absence de plusieurs dames qu’il est accoutumé de voir chez nous, madame ; je le sais de bonne part.

— Oui, de Mme de Caraman, dit Mme de Saint-Aldegonde ; j’étais derrière le Prince, je n’en ai pas perdu une parole ; d’ailleurs, le Roi, la Reine et les princesses s’en sont également plaints ; ils trouvent très simple que les personnes attachées à la Cour de Charles X n’aillent pas au Palais-Royal ; mais ils font une grande distinction entre celles-ci qui agissent par devoir et les autres qui ne les imitent que pour bouder la famille royale. Dans ce nombre, se trouvent Mme de Bauffremont, de Mortemart et autres que je n’ai pas besoin de vous nommer.

— Mais, madame, il parait que vous êtes mal instruite.

— Non, non, monsieur, je le sais très bien et, au Palais-Royal, on n’en a pas le moindre doute non plus ; les propos de Mme de Bauffremont y sont connus ; on sait de très bonne part qu’elle a dit ne pas pouvoir venir ici de peur de rencontrer le Duc d’Orléans. Samedi dernier, lorsque le Roi a passé par la rue de l’Université sous les fenêtres de la princesse de Bauffremont, elle les a fermées au plus vite et s’est laissée tomber dans un fauteuil, faisant semblant de s’évanouir.

La chaleur avec laquelle Mme de Saint-Aldegonde me conta cette histoire ne me laissa plus aucun doute sur l’auteur de tout ce paquet. Elle est l’ennemie jurée de Mme de Bauffremont. Celle-ci non plus ne peut la souffrir et lui a rendu bien des mauvais services à la Cour de Charles X ; Mlle de Saint-Aldegonde ne fait donc que lui rendre la pareille.