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Après 5 heures du soir. — Je reviens de ma promenade dans les rues. Ce n’est plus cette brillante capitale d’autrefois, c’est un camp, partout des bivouacs et des rangées de gardes nationaux à perte de vue, ce qui serait plutôt rassurant, si cette grande masse d’hommes était animée d’un même esprit. Malheureusement, elle commence à se désunir. La garde nationale entend sans indignation des vociférations atroces proférées par les révoltés ; il y en a même dans ses rangs qui font chorus avec le peuple. Partout, éclatent les symptômes d’une dislocation complète de l’Etat, et il n’est pas trop agréable de se trouver dans ce guêpier. Toutes les grandes rues sont interceptées, toutes les communications interrompues ; le tort que cela fait au commerce, déjà si ébranlé, est incalculable.

Malgré cette agitation, les fonds ont éprouvé une légère hausse ce matin : on l’attribue à un traité qui doit être en train entre le parti républicain et le gouvernement. Il est question de l’abolition de la Pairie, d’une réduction très notable de la liste civile, et enfin d’une diminution du cens électoral. On affirme qu’à ces conditions, la paix et la tranquillité de la capitale seront assurées. La moitié de la garde nationale est d’accord sur ces points avec le parti républicain. En passant aujourd’hui par un des attroupemens, j’entendais crier : « Nous voulons l’exécution de la loi ! »

— Mais en quoi consiste l’exécution de la loi ? demandai-je à un de ceux qui criaient.

— Ma foi, me dit-il, demandez cela à d’autres, car pour moi je n’en sais rien !

Et il recommença à crier de nouveau :

— Nous voulons l’exécution de la loi !

Des étudians sont en ce moment en députation chez le Roi : on ne sait encore ce qu’ils veulent, mais leurs camarades profitent de leurs loisirs pour dépaver la rue de Tournon et essayer de faire des barricades. Dieu sait ce qui nous attend et quels projets ils méditent !


Après 11 heures du soir. — Depuis deux heures on n’entend plus que les cris répétés de : « Vive le Roi ! » Je m’y perds ainsi que tout le monde, on ne sait plus qui pousse, on ne sait pas davantage qui dirige tous ces mouvemens si contradictoires. Voici cependant une explication. La garde nationale des environs