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émeutiers qui l’avouent lorsqu’on les somme de se retirer.

J’ai vu ce peuple hideux ; j’ai vu ces gens sans domicile, sans occupation, vivant au jour le jour ; ils ne sont là que pour répandre la terreur. J’ai passé par le pont d’Arcole, par la place de Grève. Partout, il y a des attroupemens ; partout, la garde nationale s’efforçait de les disperser. Mais cela durera-t-il ? J’ai passé dans plusieurs rues où les réverbères sont abattus : cela me prouve de mauvaises intentions pour cette nuit. Sur la place du Palais-Royal, on criait : « Mort aux ministres ! « ou bien : « La tête de Louis-Philippe ! » La garde nationale et la troupe de ligne étaient impuissantes devant cette foule. Une légion, voulant s’engager dans une lutte inégale, a été forcée d’ôter les baïonnettes de ses fusils ; une autre légion dans le faubourg Saint-Antoine a été désarmée. Tous ces échecs démoralisent les seuls défenseurs que nous ayons.

De retour à l’hôtel de l’Ambassade, j’ai trouvé devant notre porte une douzaine de vieux soldats. Ils sont chargés de veiller à la sûreté du représentant de l’empereur d’Autriche ! Le Roi qui ne peut se défendre lui-même, comment nous défendrait-il et surtout avec douze invalides ? Cependant l’ambassadeur n’a pas renvoyé cette prétendue garde ; mais il l’a fait cacher dans l’intérieur de notre hôtel, afin que cette quantité de sentinelles à notre porte n’excitât pas l’attention de la populace. Le soir, vinrent plusieurs personnes chez nous, toutes plus ou moins consternées. Néanmoins, tout est calme dans ce quartier à l’heure qu’il est.


22, à 10 heures du matin. — Dès huit heures on bat la générale dans les rues ; la garde nationale rentrée à une heure après minuit est de nouveau sur pied ; la populace des faubourgs est en marche contre le Palais-Royal et la Chambre des députés. Celle-ci est malheureusement à deux pas de notre hôtel, ce qui fait que les rues Saint-Dominique et de Grenelle, la place Bourbon et l’esplanade des Invalides sont encombrées de troupes et de gardes nationaux. Une autre foule se porte en ce moment sur Vincennes ; on y a envoyé aussi plusieurs légions pour défendre ce château fort ; les ex-ministres y ont été conduits dans la soirée d’hier, ils doivent être transportés à Ham en Picardie, château fort où M. de Polignac déjà une fois a été emprisonné sous le règne de Napoléon.