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conseil chez le Roi, composé de Gérard, La Fayette et Pajol ; on a discuté les mesures à prendre pour le jour où sera rendue la sentence. Le maréchal Soult est chargé de veiller sur la tranquillité publique. Il parait cependant qu’on n’a pas une très grande confiance dans sa loyauté, ni dans celle de La Fayette, puisque les généraux Gérard et Pajol ont promis au Roi de détendre les anciens ministres et la Chambre des pairs contre l’attaque populaire, avec huit cents hommes dévoués qui certainement ne passeront jamais du côté du peuple.

Paris a l’air d’un camp ; partout des bivouacs, des canons braqués et de longues lignes de troupes qui marchent dans un silence morne et menaçant. Les faubourgs Saint-Antoine, Saint-Martin et Saint-Marceau sont en pleine révolte. Toute la population est en insurrection ; on entend des vociférations menaçantes et horribles. Il paraît que tout ce monde d’égorgeurs n’attend qu’un chef pour marcher contre nous. Je vais partout, je veux tout voir de mes propres yeux. Que c’est horrible de se trouver au milieu d’une révolution continuelle !


20 décembre. — Nous avons passé une nuit affreuse. Les voitures depuis hier ne circulent plus dans les rues ; la garde nationale reçoit toutes les heures de nouveaux renforts, mais plusieurs légions ont déclaré ne pas vouloir tirer sur le peuple. L’artillerie surtout est bien mauvaise. Ce corps est presque en entier composé de héros de Juillet et, au premier coup de canon, ils les tourneront contre le parti du Roi.

La Cour des pairs a couru les plus grands dangers aujourd’hui, au point que toute l’Assemblée se croyait déjà perdue. Le président Pasquier fit lever la séance, en disant que la garde nationale ne pouvait plus arrêter la populace. En effet, on entendait jusque dans la salle des cris horribles poussés par un énorme attroupement. M. de Martignac nous a dit que, dans ce moment, il a cru que la populace allait entrer dans la Chambre.

M. de Polignac et ses confrères d’infortune ont montré beaucoup de courage et conservé tout leur calme ; leurs plus cruels ennemis doivent leur rendre justice sous ce rapport. On a pris pour demain des mesures encore beaucoup plus énergiques et qui consisteront principalement à élargir considérablement le carré des troupes qui défendent le Luxembourg. Ce projet est du maréchal Soult, à ce que l’on m’assure. Je compte