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« — Mais pourquoi ? Pourquoi repousser une chose qui lui serait avantageuse ?...

« M. de Villèle se tut un instant, haussa les épaules et je vis bien qu’il hésitait à me répondre ; enfin, pressé de questions, il me confia que le Roi lui avait dit :

« — Je dois vous avouer, monsieur le Président du Conseil, que votre projet me parait parfait, mais, entre nous soit dit, si j’y consens, mon confesseur ne me donnera pas l’absolution. »


19 décembre. — L’agitation est à son comble, la Cour et la ville en sont terrifiées. La lutte entre le parti révolutionnaire et le gouvernement sera terrible ; des deux côtés, on veut se battre avec acharnement. La grande question se base sur la garde nationale : restera-t-elle fidèle au gouvernement et unie ; ou bien passera-t-elle à l’ennemi, et une légion se battra-t-elle avec l’autre ? Il a été décidé dans les clubs qu’on ira attaquer les hôtels des ambassadeurs d’Autriche, de Russie et de Naples. Ces hôtels doivent être pillés et livrés aux flammes, mais sans effusion de sang, à moins qu’on n’y rencontre de la résistance ; dans ce cas, ordre est donné de tuer tous ceux qui résisteront.

Grâce à ces avertissemens tout aimables, nous avons pris quelques précautions, non de défense, mais de fuite. Les diamans de notre cousine et l’argenterie de la maison sont enterrés et cachés. Pouf moi, pendant qu’on pillera chez moi, je descendrai au rez-de-chaussée pour me donner le plaisir de voir de mes yeux cette belle action d’un peuple qui se croit le plus civilisé de l’Europe I et du monde entier : regardez-le briser les superbes glaces de notre grand appartement, voyez-le couper les cordes auxquelles sont suspendus les énormes lustres en bronze, ils tombent et se brisent, ils enfoncent de leur poids les parquets et déchirent les superbes tapis des Gobelins tendus sur le plancher ; ces belles peintures, ces riches dorures, ces cheminées en bronze et en marbre, tout est détruit par ces vandales ! Voilà le tableau qui nous attend.

La défense de Polignac par le comte de Martignac est un chef-d’œuvre d’éloquence ; elle fait l’admiration de tous les partis. Puisse-t-il en résulter du bon pour les malheureux ministres, je le désire de tout mon cœur ; mais il est à craindre que la Cour des pairs soit bien plus dirigée par la peur que par la persuasion, et son arrêt s’en ressentira. Hier soir, il y avait un petit