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feu, de pillage et de sang. Notre position ici n’est ni douce ni agréable.


13 décembre. — Tout s’est passé à merveille hier ; la foule était immense ; mais elle ne fut point troublée comme on l’avait craint. Un complot existait réellement, ourdi par les clubs pour intimider la garde nationale et pour renverser le ministère ; mais il fut découvert à temps et les mesures de la part du gouvernement furent si bien prises que l’exécution devint impossible. Malheureusement, il fut obligé de s’en tenir là sans pouvoir arrêter les chefs de la conspiration ; il n’a pas la force de le faire. L’artillerie de la garde nationale se trouve fortement compromise dans l’affaire et elle sera dissoute : voilà la seule mesure un peu énergique que l’on ose prendre.

Dans le convoi, et d’un fiacre qui précédait les voitures à armoiries, on voyait sortir deux béquilles. J’ai demandé aux personnes qui m’entouraient ce que cela voulait dire et l’on m’a assuré que c’étaient les béquilles du défunt auxquelles on rendait les honneurs dus au mérite du grand homme. Cette explication, donnée avec tout le sérieux possible, nous amusa beaucoup, l’ambassadeur et moi, car nous allions ensemble. Ce ne fut que quelques heures après que je sus la vérité ; elle me parut plus déplorable que ridicule : le fiacre en question contenait quatre blessés des glorieuses journées de Juillet !

Benjamin Constant, peu de jours avant son décès, disait à ses amis :

— C’est bien à temps que je meurs, je suis à la mode, j’aurai un convoi superbe ; cela ne me serait pas arrivé l’année dernière et, si mon existence se prolongeait jusqu’à l’année prochaine, on ne me rendrait pas non plus tous ces honneurs. Enfin, chacun à son tour.

Le gouvernement est aussi content d’avoir remporté cette victoire sur le parti républicain, que s’il avait gagné une grande bataille. Cela seul prouve la position critique du moment. Si le parti La Fayette avait triomphé, c’en était fait du trône de Louis-Philippe.


15 décembre. — Hier soir, le monde nous a quittés de très bonne heure ; le comte de Hocquart et les ambassadeurs de Russie et de Sardaigne restèrent après que tout le monde fut