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Autrefois en opposition avec le gouvernement de Charles X, elle l’est maintenant de même avec celui de Louis-Philippe ; mais cette fois, c’est moins par opinion, si je ne me trompe, que pour « donner ; elle aime à surprendre et quand on s’attendait à lavoir d’accord d’opinion avec le nouveau gouvernement, elle nous a tous surpris en se déclarant carliste, et, pour être plus piquante encore, elle est carliste modérée, chose qui, jusqu’à présent, parut un paradoxe. C’est donc chez Mme Alfred que je cherchai ma distraction.

Elle me reçut avec cette gaieté qui la distingue, cette politesse qu’elle ne réserve que pour bien peu de personnes et je suis un des élus. Elle me parla de la manière la plus amusante du Palais-Royal, de tout ce qui s’y passe et dans le parti du mouvement. Déjà elle était parvenue à chasser les nuages qui obscurcissaient mon front lorsqu’on annonça M. Anisson ; sa figure était longue d’une aune, ses yeux abattus, son front ridé et sa bouche pincée ; en un mot, nous ne pûmes nous dissimuler qu’il était tout préoccupé du procès des anciens ministres. Me rappelant qu’il nous avait annoncé à Dieppe tous les désastres qui devaient suivre les ordonnances, sa figure me parut de mauvais augure !

— Que pensez-vous, lui dis-je, du procès qui terrifie tout le monde ?

— Ma foi, me répondit-il, je crois que nous aurons de rudes journées à passer pendant cette mauvaise affaire ; je voudrais voir ce Polignac et compagnie à cent lieues de Paris et, tout vieux que je suis, je voudrais être plus vieux de deux mois encore.

— Croyez-vous qu’il y ait du danger pour le gouvernement ?

— Certainement, c’est une affaire vitale ; le gouvernement est renversé sans faute, si, d’ici là, il ne parvient pas à se fortifier d’une manière ou de l’autre, et s’il ne prend pas les mesures les plus énergiques pour repousser le parti républicain ; oui, cher comte, nous jouons gros jeu, il s’agit non seulement de la nouvelle dynastie, mais aussi de notre existence à tous. Tout est à craindre, rien n’est à prévoir.

Ce discours me replongea dans mes anciennes rêveries.

Aujourd’hui, tout Paris est encore dans une inquiétude affreuse pour demain, jour fixé pour le convoi funèbre de Benjamin Constant. On parle de poignards, de machines infernales, de