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le prétendu héros qui venait de me quitter. Il arrive tout content ; déjà, il se croit en possession de sa pension, lorsque je le place vis-à-vis du second pétitionnaire et leur dis : « Messieurs, chacun de vous me dit avoir été le premier au Louvre ; je ne puis, je n’ose décider, de peur de faire tort à l’un ou à l’autre, veuillez donc, messieurs, vous arranger entre vous. » J’ai souvent, continua le Duc, toute la peine du monde pour me contenir et ne point sourire sur les propos qu’on me tient ; dernièrement par exemple, un jeune homme, pour appuyer sa pétition, me dit qu’il avait un père octogone et que lui-même était hors d’état de travailler, étant décoré d’une descente.

Je ris de ces détails comme un fou, au point que la Reine m’en demanda la raison ; pour me tirer de ce mauvais pas, je dis à Sa Majesté que ce qui me faisait rire, était une confidence dont Monseigneur voulait bien m’honorer et que ce serait en abuser si je la répétais.

-— Vous aussi, je le sais, dit le Duc d’Orléans en reprenant notre première conversation, vous aussi êtes tourmenté beaucoup par toutes sortes de gens ; vous êtes sujet autant que moi à cette corvée.

— C’est si peu de chose en comparaison de ce qui vous arrive de pétitionnaires, Monseigneur, qu’il ne vaut pas la peine d’en parler.

C’est jusqu’à ses promenades à cheval et en voiture qu’il est poursuivi avec des suppliques ; il en revient chaque fois ses poches pleines.


6 novembre. — Encore un changement ministériel : voilà le maréchal Maison aux Affaires étrangères ; je parie qu’il n’y restera pas un mois, on a ou beaucoup de peine à lui faire accepter ce portefeuille. M. de Chasseloup, son aide de camp, m’a dit que le maréchal avait eu une conversation de trois heures avec MM. Sébastiani et Gérard, qui prièrent le maréchal, au nom du Roi et de Dieu qui protège la France, d’accepter. M. Maison, lorsqu’il sut par ces messieurs qu’il ne tenait qu’à lui de sauver sa patrie d’un cruel embarras, accepta le portefeuille. La politique l’épouvante, il y entend fort peu de chose ; d’ailleurs, c’est un galant homme, mais, dans le temps qui court, il faut plus encore que cette précieuse qualité pour être bon ministre.