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de Léon XIIIe st parfois exploitée contre les avocats trop passionnés des universités. La Prusse, en 1884, avait essayé d’obtenir que tous les évêques consentissent à faire passer leurs clercs par les facultés de théologie ; les champions du « germanisme, » vingt ans plus tôt, avaient volontiers opposé ces facultés, asiles de la recherche scientifique, sanctuaires de la « liberté intellectuelle germanique, » à des grands séminaires comme celui de Ketteler à Mayence, accusés d’être, sur le sol allemand, les laboratoires d’un romanisme intransigeant. En face de la Prusse, en face des champions du germanisme, Léon XIII répétait les désirs du concile de Trente, et donnait une très ferme assise aux exigences de l’épiscopal prussien.


Ce document était grave. Après les heures de coquetterie, il fallait en venir aux pourparlers définitifs ; après les complimens, il fallait en venir aux résultats. Léon XIII voulait, sans plus tarder, les obtenir et voir rétablir en Prusse « l’ordre divinement institué et sanctionné ; » car, ajoutait-il, « si le besoin de défendre cet ordre l’exigeait, nous n’hésiterions pas à endurer les maux les plus graves, suivant en cela l’exemple de nos prédécesseurs. » Bismarck lui avait rouvert la route des Papes triomphateurs ; Léon XIII n’oubliait pas l’autre, celle des Papes persécutés, et, s’il le fallait, il la reprendrait. Quatre mois durant, la Papauté, spoliée, avait connu la surprise d’une bonne fortune ; le chancelier de l’Empire, de cet Empire qui, dès 1871, s’était affiché comme n’ayant rien de commun avec l’ancien Saint Empire Romain, l’avait ramenée sur les mêmes cimes où le Saint Empire l’avait jadis installée. Mais Léon XIII exalté ne se laissait pas griser : il allait, en 1886, rouvrir les débats épineux, et rendre plus pressantes les revendications de l’Eglise, dût-il, pour les faire aboutir, « endurer les maux les plus graves. » Cette ligne de la lettre papale, écrite en plein triomphe, était singulière d’accent : le Pape savait que, dans l’histoire de l’Eglise, les pages de souffrances sont plus longues, et plus fréquentes, et, d’ailleurs, plus purement glorieuses, que celles qu’éclaire, d’une lueur fugitive et bientôt pâlie, le sourire des grands de la terre.


GEORGES GOYAU.