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— de la plus grande distinction dont il disposait, — le chancelier de l’Empire évangélique. Bismarck irait à Canossa, peut-être ; mais ce ne serait pas dans l’appareil où l’on y avait vu l’empereur Henri IV ; il aurait sur sa poitrine la croix papale. Médiateur entre l’Espagne et l’Allemagne, Léon XIII avait fait pencher en faveur de l’Espagne le poids de son jugement ; et l’estimant satisfaite, il allait vers l’Allemagne, — vers cette Allemagne qui l’avait fait juge, — avec le plus chaleureux des mercis. Bismarck, dans sa lettre du 13 janvier, remerciait à son tour : la lettre disait, en beaucoup de mots, très peu de choses, et ne répondait pas à l’allusion du Pape concernant la situation religieuse de l’Allemagne ; la presse du Quirinal profita de ce silence pour alléguer que le Pape était joué. Mais il y avait, en tête de l’épitre bismarckienne, un tout petit mot, qui valait tous les mercis : c’était le mot sire ; l’Italie en fut choquée, et Léon XIII heureux. Il lui semblait que ces cris ; Evviva il papa re ! que des milliers de pèlerins, confians dans la revanche de l’Apôtre, faisaient retentir de temps à autre sous les voûtes de Saint-Pierre, venaient d’avoir une répercussion dans le palais même de Bismarck, dans ce palais qui, depuis quinze ans, prétendait maîtriser l’Europe. Bismarck, non moins content, racontait à son familier Busch : « Le Pape m’a donné sa plus belle décoration, et cela par une lettre très flatteuse. »

Ils avaient tous deux eu leurs étrennes : l’un, une décoration ; l’autre, un titre royal ; ils étaient tous deux satisfaits. Quatre mois plus tôt, quel catholique, en Allemagne, eût prévu cela ! Mais Bismarck était désormais assez apprivoisé pour que le Pape, se retournant vers les évêques de Prusse et vers les fidèles de Prusse, pût redire utilement, dans une longue lettre, que la révision des lois de Mai demeurait nécessaire et devait sans relâche être souhaitée. Il célébrait éloquemment les longues dépenses d’énergie et de souffrance, dont les catholiques allemands avaient donné le spectacle ; avec eux et en leur nom, il réclamait toujours, d’une part, la suppression des lois qui lésaient la juridiction ecclésiastique, d’autre part, l’abolition des entraves qui s’opposaient à la libre éducation du clergé. Il insistait longuement sur le second point, sur le droit des évêques à avoir des grands séminaires ; là-dessus, il ne pouvait pas céder. Il établissait si fortement la nécessité de ces institutions, qu’aujourd’hui même, dans les polémiques, cette lettre