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de son côté, était comme abasourdie : « Le Pape peut bien trancher la question des Carolines, disait en guise de consolation le prédicateur de la cour, Koegel ; mais il ne doit pas régner sur les consciences chrétiennes. » La presse protestante était plus amère. Sommes-nous revenus au moyen âge ? questionnait la Poste rhénane et westphalienne ; jamais, depuis le temps de Luther, une puissance protestante ne s’était soumise à la médiation d’un pape. On n’invoque pas Léon XIII comme pape, mais comme souverain, répliquaient, à l’instigation de la chancellerie allemande, la Gazette générale de Munich et la Gazette (le Silésie. Les uns trouvaient que Bismarck s’agenouillait devant le Pape ; les autres, qu’il le traitait en roi. Léon XIII « pape-roi » laissait dire : les deux interprétations lui faisaient plaisir : la première honorait l’Eglise, la seconde humiliait les nouveaux occupans de Rome ; il les acceptait toutes les deux, avec une grande joie. Lefebvre de Béhaine, promenant à travers les rues de la troisième Rome son œil exercé, regardait avec quelque malice, ces jours-là, les chevaux qui traînaient le carrosse royal aller quelquefois au pas, et certains groupes, opportunément disposés, pousser des hourras : était-ce une charitable emphase, pour consoler une déconvenue ? Ces hourras remuaient un quartier : le bruit que faisait la médiation de Léon XIII domina le monde. Et ce bruit, le Pape le devait au chancelier.

Bismarck, qui n’avait pas encore accompli dans l’Empire la besogne de pacification, apparaissait à Léon XIII comme un allié de la puissance papale. Bismarck avait prévu la satisfaction du Pape et comptait qu’elle aiderait au règlement des affaires allemandes. Une résipiscence, — puisque c’était cela qu’on attendait de lui, — il en faisait une : le temps était loin, où, bravant la loi même des garanties, il semblait considérer l’Italie comme responsable des actes du Vatican : voici qu’au contraire il parait d’un prestige inattendu cette puissance papale, que dix ans plus tôt il aurait volontiers traitée en institution sujette du Quirinal ; voici qu’il la laissait pleinement libre, — libre de décider sur les droits de l’Allemagne, pour ou contre les intérêts de l’Allemagne : Léon XIII pouvait reconnaître les prétentions de l’Espagne, Bismarck ne lui en saurait pas mauvais gré. L’Empire allait supporter, de très bonne humeur, que dans ces lointains archipels, où les marchands allemands jouiraient d’ailleurs de toute liberté, flottât le pavillon du roi catholique :