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politique générale ; et chacune des deux puissances cherchait à établir qu’au point de vue de la situation internationale, l’avantage de l’autre était de s’arranger bien vite, et de traiter. Léon XIII ne pouvait sacrifier aux résistances de l’ « homme dur » les grands séminaires d’Allemagne ; mais, au début de l’été de 1885, il lui fit une belle avance. Le cadeau que Léon XIII offrit à Bismarck fut la démission de l’archevêque Melchers et la nomination de Krementz au siège archiépiscopal de Cologne. Le Dôme allait enfin cesser d’être en deuil ; la misère spirituelle des populations rhénanes allait avoir un terme. Le 2 juillet 1885, un peu avant midi, un vieux prêtre, humblement vêtu, sonnait chez l’avocat Adam Bock, à Aix-la-Chapelle : le domestique hésitait à le recevoir. Toute la maison s’occupait d’un grand déjeuner, préparé pour quelques chanoines. C’était lui, cependant, qu’Adam Bock attendait, c’était Melchers, qui s’était invité chez lui pour dire adieu aux chanoines de Cologne. Il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas tenu de réunion capitulaire ! celle-là dura deux heures, et ce fut l’adieu : « Je vous remercie, leur dit-il, pour tout ce que vous avez fait, pour tout ce que vous avez sacrifié dans des temps difficiles. A peine sans doute nous reverrons-nous en ce monde ; je vous donne rendez-vous dans l’éternité, après le purgatoire. » Et Melchers reprit le train qui le ramenait en Hollande, pour y préparer son exode vers Rome, où il devait achever de vivre.

Il avait, au Concile, réputé peu opportune la déclaration de l’infaillibilité ; son loyal souci de soumettre au dogme toutes les âmes dont il avait la charge l’avait ensuite mis en conflit avec l’Etat prussien. Puis, le conflit s’envenimant, il était devenu un prisonnier, un révoqué, un émigré. Il avait été jeté dans la lutte, à l’occasion d’une définition dogmatique à laquelle il n’avait pas collaboré : la lutte s’était imposée à lui, comme un devoir, sans qu’il l’eût cherchée. L’année 1885 lui imposait un autre devoir : celui de subir des préparatifs de paix dont il était la première rançon. La même obéissance qui l’avait fait en 1871 brandir sa crosse l’amenait en 1885 à la déposer.

L’heure de transition, qui sépare deux périodes d’histoire, est un étroit défilé, où les hommes nouveaux, seuls, peuvent circuler aisément. Quant aux hommes d’hier et d’avant-hier, chargés de passés glorieux, ils demeurent alors en arrière : l’éclat même de ce qu’ils firent de vaillant ou d’héroïque les