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Une première dépêche, adressée à Madrid, avait invité Frédéric à gagner Rome ; une seconde, adressée à Séville, lui avait marqué qu’il devrait faire visite au Vatican. Schloezer et Gossler, venant l’un de Rome, l’autre de Berlin, attendaient Frédéric à Gênes, pour lui expliquer la situation.

Le prince obéit : le 17 décembre, il fit son entrée dans Rome, où tant d’empereurs l’avaient précédé, et fut l’hôte de Humbert Ier ; mais son logis fut un petit palais attenant au Quirinal et sur lequel n’avait jamais pesé l’interdit papal. Schloezer avait aussitôt prévenu le cardinal Jacobini que Son Altesse désirait saluer Sa Sainteté. L’audience fut fixée pour le lendemain 18. Ce jour-là, le matin, Frédéric s’en fut au Panthéon déposer une couronne sur la tombe de Victor-Emmanuel, puis il déjeuna chez Kendell, ambassadeur de Prusse près le Quirinal, et s’en alla directement de l’ambassade au Vatican, en grand uniforme prussien, dans des voitures privées. Il s’imposait ainsi, de très bonne grâce, toutes sortes de complications ; prince protestant, on lui ouvrait les portes du Vatican, bien qu’il fût l’hôte du Roi ; mais tant de précautions et d’embarras permirent à Jacobini de conclure ensuite, dans une circulaire aux nonces, que le Saint-Siège maintenait fermement l’ensemble de ses revendications, et qu’une situation intolérable était faite au chef de l’Eglise. Le Pape et l’héritier de l’Empire causèrent cinquante minutes. Léon XIII fut très avenant, rappela plaisamment à Frédéric un mot de Pie IX, qui l’ayant reçu trente ans plus tôt, avait dit ensuite : « Quel charmant garçon, ce prince ! » Il le remercia pour la grâce accordée à l’évêque de Limburg ; il lui exposa ses vues au sujet de la paix. Et puis, avec une douce brusquerie : « Et maintenant. Monseigneur, qu’est-ce que vous nous apportez ? » Frédéric dut avouer qu’il n’apportait rien ; il n’était chargé de rien offrir ni de rien demander ; venu à Rome comme hôte du roi d’Italie, il avait voulu rendre au Pape un hommage de déférence. Léon XIII fut peut-être déçu, mais la causerie resta cordiale. Il n’ignorait pas que le prince se savait détesté de Bismarck. « Le grand malheur pour moi, lui dit le Pape incidemment, c’est que Bismarck me déteste. » C’était une façon coquette d’attirer le prince dans son jeu : ils avaient tous deux à se plaindre du chancelier. Quelques heures après, Frédéric, haranguant la colonie allemande de Rome, célébrait l’amitié entre l’Allemagne et l’Italie, et puis il continuait : « Ce