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hélas ! sous leurs regards. Entre un homme et sa patrie, l’exil met un rideau ; c’est à la lumière de certains souvenirs, figés, stationnaires, que l’exilé juge les évolutions lointaines de la vie ; déraciné, il cesse bientôt d’être au point pour bien voir ; les faits saillans, dont il est informé, lui parviennent détachés de leur atmosphère, avec cet aspect incomplet, et parfois fort trompeur, que prennent certains textes séparés de leur contexte. Melchers, dans la lettre même où il signalait comme possible, et peut-être souhaitable, une démarche de Rome auprès de la Prusse, accentuait avec une certaine vigueur, cependant, les objections auxquelles ce projet pouvait donner lieu : son état d’esprit d’exilé, victime de l’implacable Prusse, le portait vers l’intransigeance. Le Vatican jugeait utile de connaître, parallèlement, l’avis personnel de Krementz, qui, plus heureux que Melchers, n’avait jamais perdu contact avec l’opinion publique du pays.


Je pense, répondit Krementz, que la dispense de l’examen d’État peut être demandée, réserve faite des droits ecclésiastiques. Il s’agit de déclarer au gouvernement que nous ne reconnaissons en aucune façon le droit qu’il s’est arroge, sans avis des évêques, sans permission du Saint-Siège, de faire des lois se référant non à toute la communauté, mais aux seuls théologiens ; que nous déplorons vivement que, par suite de ces lois, beaucoup de prêtres soient encore empêchés de remplir les fonctions sacrées ; mais que, considérant que la bonne volonté du gouvernement s’applique maintenant à écarter ces obstacles et à ménager au peuple chrétien les secours religieux, nous demandons instamment, en raison de la malheureuse condition des fidèles, que le gouvernement veuille écarter les obstacles par lesquels tels et tels prêtres (à désigner nominalement) seraient écartes du saint ministère. En même temps on profitera de l’occasion pour demander que les prêtres qui, frappes d’exil ou passibles de prison, vivent au delà des frontières, soient délivrés de ces peines.


L’opinion de Krementz fut très remarquée, et méritait de l’être. Le Centre avait assuré le succès d’une loi qui, moyennant une simple demande de dispense, permettait à tous les clercs ordonnés depuis 1873 d’exercer enfin, parmi les populations privées de sacerdoce, un ministère normal ; d’avance, les populations se réjouissaient que les prêtres ambulans qui depuis 1880 portaient au milieu d’elles les sacremens fussent remplacés par des prêtres sédentaires. En opposant son veto à la demande de dispense, le Saint-Siège aurait couru le risque de jeter le trouble dans le Centre, et de causer aux fidèles une