Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/766

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Non, dit Marcelle tout net, j’entrerai aux Beaux-Arts.

— Aux Beaux-Arts ! tu es folle, s’écria la mère.

— Pour crever de faim ? lança crûment Pierre Fontœuvre.

— On ne s’improvise pas artiste quand on n’est pas doué, observa Jenny.

Marcelle sentait sa passion naissante s’affirmer en face de la contradiction ; elle revit les toiles qui peuplaient ses rêves, les deux écoles exaltées qui l’attiraient pareillement, celle de la vie, celle de l’idéal, et par-dessus tout Nicolas qui, de sa voix bonhomme, un peu traînante, des Français de l’Ile-de-France, disait sur l’Art des choses enflammées. Dressée dans sa forme longue et frêle de fille de quatorze ans, avec ses cheveux blonds si doux et ses yeux verts si cruels, elle déclara :

— Je suis artiste.

Et une audace extraordinaire lui venant, dans un coup de révolte contre la résistance des siens, hostile, irritée, frémissante de désir, elle alla chercher dans le tiroir de sa table une liasse de dessins : copies des fleurs de sa mère, croquis d’après nature, vierges antiques prises au magasin des Dodelaud. Elle les jeta sur une table :

— Voilà ce que j’ai fait depuis deux ans.

Les parens stupéfaits s’entre-regardèrent. Ils examinaient de nouveau les dessins sans se lien dire. Ils avaient des larmes dans les yeux. Marcelle sentait comme une fumée capiteuse lui monter au cerveau.

Colette Yver.

(La troisième partie an prochain numéro.)