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autres, se seraient tenus à l’abri de la contagion ; mais ils n’en ont rien fait ; tout au contraire, c’est parmi eux que cette contagion s’est exercée avec le plus de force. Pourquoi ? Il y aurait là tout un problème psychologique à étudier. La partie élevée, tout intellectuelle, vraiment noble et désintéressée de leur mission aurait dû servir aux instituteurs de sauvegarde : s’il n’en a rien été, c’est sans doute parce que les prétentions exagérées ne se développent jamais mieux que dans une science incomplète. On a donc vu les instituteurs devenir peu à peu un danger pour la société dont on se plaisait à croire qu’ils seraient un des plus solides appuis et, aussi, un danger pour eux-mêmes. Jamais la nécessité d’un gouvernement en dehors d’eux, au-dessus d’eux, n’est apparue plus manifestement qu’aujourd’hui. Sans nul doute ce gouvernement a ses défauts et ils se sont singulièrement développés depuis quelques années. Lorsque les instituteurs se plaignent des ravages que le favoritisme politique fait dans leurs rangs comme partout ailleurs, ils ont cent fois raison, et s’ils demandent, s’ils exigent des garanties contre des excès devenus intolérables, la conscience publique les soutiendra. Mais l’émancipation qu’ils rêvent, émancipation dont ils feraient bientôt une nouvelle dictature, est bien loin d’être la panacée qu’ils annoncent : ce n’est pas par un mal qu’on en guérit un autre.

La crise actuelle nous a donné l’occasion de nous rendre mieux compte de l’esprit qui règne dans le corps enseignant : nous ne parlons, bien entendu, que des instituteurs primaires, ils sont seuls en cause. Est-ce à tort, est-ce à raison que, depuis quelques années, on s’est demandé si l’idée de patrie, avec toutes les obligations qui en découlent, ne s’était pas un peu obscurcie dans leur conscience ? C’est une grave question ; nous n’en connaissons même pas de plus redoutable, car l’avenir du pays dépend des générations nouvelles que les instituteurs élèvent dans nos écoles. L’enseignement qu’ils donnent et, en dehors de cet enseignement proprement dit, leur manière personnelle de penser et de sentir, l’exemple même de leur vie, en un mot ces émanations subtiles qui créent aux enfans une ambiance particulière contre laquelle ils n’ont pas de défense, sont à coup sûr des élémens de notre grandeur ou de notre décadence future. Voilà pourquoi, lorsque les mots d’antipatriotisme, d’antimilitarisme ont commencé à courir et qu’on a pu craindre que nos instituteurs ne fussent pas suffisamment garantis contre les dangers qu’ils recèlent, l’émotion dans le pays a été très vive. Mais enfin on doutait, on niait même volontiers et, en somme, les pessimistes n’avaient à citer que des cas