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réduit à fabriquer des sonnets pour Chloris. Il y a, dans cette tradition, Bossuet, Voltaire et Chateaubriand ; il y a, dans cette tradition, tous les modes de la parole influente, tous les échos de l’histoire, tous les frémissemens de la nation. Et c’est là que les écrivains les plus éloignés de l’isolement poétique, les plus cordiaux, les plus désireux de fraterniser avec la foule contemporaine, c’est là, dans cette tradition fertile, qu’ils puiseront leur énergie rayonnante.

Sans rien relâcher de ses indispensables exigences, de ses rigueurs grammaticales et, — disons-le bravement, — de son heureux pédantisme, la critique devra tenir compte à ces écrivains de l’ampleur qu’ils auront donnée à leur rêve. Une œuvre est plus grande qu’une autre, quand elle est associée à l’âme d’une époque. Indépendamment de sa perfection littéraire, de son agrément, de sa beauté, une œuvre a, dans son temps, une valeur significative, une valeur vivante et qui résulte de l’accord où elle est avec les volontés de ce temps.

Indépendamment, dis-je, de sa perfection littéraire, de son agrément et de sa beauté. Mais le véritable chef-d’œuvre est caractérise par ces deux vertus. Et, faute des vertus de style, un discours qui a exalté les masses relève de la politique, non de la littérature, domaine réservé.

Cette valeur significative, cette valeur vivante, une œuvre l’a, disais-je, dans son temps. Elle l’a ensuite et la conserve. On se trompe, si l’on croit qu’un poème promis à la durée se forme, pour ainsi parler, dans l’intangible éther. Il a, bien au contraire, de solides attaches dans la réalité environnante : c’est elle qui l’a nourri et qui lui a communiqué la force de passer la cohue des âges pour s’établir enfin dans l’éternité. Ainsi l’Odyssée ou l’Iliade ; ainsi l’Énéide ; et ainsi la Divine Comédie, dont la première lecture a besoin d’un perpétuel commentaire. Ces poèmes, qui sont l’enchantement commun de l’humanité, furent d’abord des œuvres de circonstance : ils ont emprunté à la vie actuelle et ils ont assimilé la substance qui est leur chair et leur âme.

Donc, je ne fais pas de la littérature cette captive ; et, l’écrivain, je ne l’ai pas enclos dans une tour où ne parviennent pas les vacarmes du dehors, où ne pénètrent ni le soleil des champs ni le soleil des cœurs.

Même, j’accorde que c’est une infirmité pour un livre qu’en le lisant on ait à se dire : — C’est joli ; mais pourquoi me raconte-t-il ces jolies choses ?

Il importe que l’écrivain ne semble pas intervenir comme un sourd qui répond à ce qu’on ne lui demandait pas.