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Voici des phrases toutes pleines de parfums ; respirez-les. Et voici les nouvelles parures de l’âme française ; admirez-les.

Évidemment, les principes que je lui donne à défendre sont, pour l’écrivain, des principes de soumission. Mais ce sont aussi les conditions mêmes de la littérature. Et, quant à la liberté de l’artiste, ainsi que toute autre liberté, où prend-elle son énergie utile, sinon dans la connaissance et l’acceptation des authentiques servitudes ?

Ces principes, en outre, imposent à la littérature une esthétique de lettrés. C’est assez naturel, semble-t-il.

Pour y contredire, il y aura néanmoins deux groupes de penseurs. Premièrement, les doctrinaires, les prophètes que nous avons en abondance, qui brûlent de répandre leur philosophie et qui ne s’attarderont pas aux frivolités du style : mais, s’ils dédaignent la littérature, elle n’a pointa s’occuper d’eux ; et laissons-les à leur entreprise. Secondement, les partisans et les théoriciens d’une littérature populaire : mais, quoi qu’ils annoncent depuis les alentours de 48, il n’y a point de littérature populaire. Les échantillons qui nous en furent offerts, ou bien n’ont aucune espèce de valeur, ou bien attestent, de la part de leur auteur, une rouerie excellente. Le stratagème consiste alors, habituellement, à présenter comme populaire une œuvre anonyme : ce poète, qui n’a pas dit son nom, c’était un lettré. Les honorables gens du peuple qui ont signé leurs livres attendrissaient Mme Sand : elle avait le cœur généreux et politique.

Naîtra-t-il jamais une littérature populaire ? En somme, rien ne la fait prévoir, si d’éminens orateurs la préconisent. Et l’on n’en possède aucun exemple d’aucun temps ni d’aucun pays.

En l’attendant, avec peu de foi, réclamons la littérature pour les seuls lettrés. Elle est à eux.


Conclura-t-on de là que je la détache de toute l’activité contemporaine ; que je la sépare de la Vie, — et l’on mettra, si je ne me trompe, une majuscule à ce mot qui manque de simplicité ; — qu’enfin je l’enferme dans la fameuse tour d’ivoire, d’où se vantent d’être sortis, très vaillamment, des personnages qu’on a toujours rencontrés aux carrefours ?

Si l’on tire de mes propos cette conclusion, c’est qu’on se dépêche.

Il ne s’agit pas d’emprisonner la littérature. Pour écrire selon l’usage du vocabulaire et de la syntaxe française, il n’est pas indispensable qu’on se retire dans un cachot. Et, parce qu’on suivra la lente et noble tradition de la littérature française, on ne sera pas