Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/707

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouveau. Sophisme ! Les nouvelles idées sont de nouveaux assemblages d’élémens éternels. La trouvaille, c’est la synthèse ; les mots désignent les élémens : et vous les réunirez au gré de la trouvaille, sans brusquerie.

Là encore, vous ne céderez pas à toute votre fantaisie, car il y a une syntaxe, qui ne dépend aucunement de vous. Ce terme grammatical offense nos littérateurs les plus hardis, ceux qui font à leur génie le sacrifice de leur talent ? Mais enfin, la syntaxe de notre langue note les procédés de notre logique française. Elle n’est pas arbitraire : elle constate que, dans notre intelligence, à laquelle ont travaillé de longs âges, les idées ont leur manière de se combiner. Et l’on n’y peut rien. D’ailleurs, la logique française a toute la plus jolie souplesse, une rapidité, une gaieté exquises. Elle se plie aux velléités les plus diverses du raisonnement ; elle a, pour les nuances du sentiment, des ressources merveilleuses : et, quand on la violente, que lui veut-on ?...

N’eût-elle pas ces qualités, ces vertus, cette obligeance, il faudrait cependant lui obéir.

Certains épisodes de notre histoire littéraire, et quelques-uns des plus illustres, paraissent démentir les préceptes que je formule. On citera volontiers Ronsard et son école, qui dépensèrent tant de fougue à enrichir notre langage, à dompter sa grammaire, à instaurer une poésie toute neuve. On citera les romantiques, si l’on veut, et leur prétention de mettre au vieux dictionnaire un bonnet rouge. Mais, ceux-ci et ceux-là, sommes-nous sûrs de les aimer en tant que novateurs ? Et, leurs innovations, n’en exagère-t-on pas l’importance, comme j’avoue qu’ils étaient eux-mêmes assidus à l’exagérer ? Surtout, il est possible qu’au temps de Ronsard un grand poète, qui survenait après les vains rhétoriqueurs, dût prendre l’initiative audacieuse qu’il a prise ; et il est possible qu’au temps d’Hugo l’on dût secouer un peu les manies des classiques derniers et fatigués.

Ce n’est plus le cas. Les libertés indispensables, on les a revendiquées : on les a conquises ; et, durant des lustres, on a fortement abusé d’elles. Qui oserait dire qu’à présent nous manquions de mots, de tours ? Nous en avons, pour rendre nos idées et nos émois, plus qu’il n’en faut. Nous succédons à une époque de fécondité irréfléchie ; et, s’il fut opportun d’agir comme on l’a fait, cette période est passée.

Dans la vie politique, on souhaite, après l’exubérance révolutionnaire, une accalmie où l’on profite de ses conquêtes. Il en est, dans la littérature, pareillement. Ou bien l’aventure des peuples et des lettres ne serait qu’une éternelle frénésie.