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Tels sont les caractères du désordre que j’aperçois. Il est la conséquence d’une richesse excessive et qui réussira peut-être à se composer. La synthèse serait magnifique, alors ; le tas donne l’impression de décombres.

La synthèse sera difficile. Jamais, sans doute, un arl, une littérature n’ont eu à se dégager d’un tel amas de matériaux. L’art et la littérature des temps les plus heureux vivent sur un petit nombre d’idées familières.

Que faut-il attendre ? L’anarchie continuelle et ses dévastations finales, ou l’ordre institué splendidement sur la libre luxuriance d’un siècle ?

La critique peut aider à l’institution de l’ordre. Elle ne crée pas, mais elle organise. Que d’abord elle sache éliminer le mal : le bien, tout seul, prospère.

Aussi disais-je que la critique, avec ses devoirs de complaisance, a> des devoirs de décision.


Mais où trouver le principe du choix qui est l’office premier de la critique ? Les genres se sont défaits et les règles ont perdu leur prestige.

Il s’agit de distinguer, de tout le reste, la littérature. Et l’on vous demande : « Qu’est-ce que la littérature ? » comme demandait l’autre, avec un sourire triste et ingénieux : « Qu’est-ce que la vérité ? »

Eh bien ! qui aime la littérature ne se laisse pas tromper : il la devine et il la sent. Elle lui est savoureuse et succulente : elle lui est une gourmandise ; elle lui fleure bon.

Voici quelques années, ce fut la mode. Les moralistes avaient pris le haut du pavé. Ils disaient, fort dédaigneusement : « C’est de la littérature, » comme on dit : « Ce n’est rien. » Ils eurent avec eux des écrivains pour répéter : « C’est de la littérature, » et pour faire la moue. Autant vaut un soldat que la guerre ne tente plus.

Avaient-ils de prodigieux évangiles à proclamer ? Peut-être ; et alors vantons leur bel orgueil. Mais le simple littérateur, qui n’a point à sa disposition les ravissantes joies d’un apôtre, accorde toute sa ferveur à son art.

Ce n’est qu’un jeu de mandarin ?… C’est un jeu savant. Et, lorsque les ignorans occupent, dans une société, la situation si avantageuse qu’ils ont dans la nôtre, le mandarin n’est pas méprisable. « Nous souffrons d’un excès de littérature, » écrivait Sénèque le philosophe,