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si la critique est pusillanime, tant pis. C’est dommage. Elle n’accomplit pas tout son devoir.

Du moins, elle ne nuit pas. Et elle a encore un excellent rôle à jouer. Elle omet ce qu’elle aurait à blâmer ; ce qu’elle a goûté, elle le signale. Et elle annonce le plaisir que proposent les nouveaux livres à tout venant : plaisir divers et plaisir de toute sorte, un sentiment ingénieux, la mélodie adroite d’une phrase, la grâce d’une dialectique ; plaisir qu’elle a eu peur de discuter et qu’elle s’est hâtée de prendre.

Il y a, dans cette critique, une agréable mollesse, une volupté de l’intelligence à laquelle on cède volontiers. Il y a même, dans cette critique, une judicieuse entente de ce qu’est l’art, en son essence véritable : un amusement ou, selon Bossuet, une concupiscence de l’esprit.

Certains érudits parlent d’une musique, d’un tableau ou d’un poème comme ils traiteraient un problème de géométrie, par exemple, — si la géométrie elle aussi n’avait pas de quoi égayer l’imagination, — bref, avec une singulière froideur. Ce sont des ascètes, involontairement. Ils se privent de toute la joie que prodigue l’art et sans laquelle l’art n’est quasi rien.

À tant de renoncement, je préfère la légèreté des Épicuriens que j’indiquais et la facilité de leur contentement.


Mais la critique voluptueuse ne suffit pas. Elle a choisi la bonne part : la bonne part lui sera enlevée, si elle s’abandonne à ses délices. Elle ne songe qu’à jouir de son trésor : il est indispensable qu’elle le défende.

Trésor toujours menacé, les arts. Les mauvais écrivains foisonnent comme le chiendent ; et ils ravagent les cultures délicates. Qui les écartera ?

C’est urgent ; ce ne le fut jamais davantage.

À certaines époques, notre littérature avait une ordonnance parfaite. Les écrivains les plus différens les uns des autres obéissaient à la même esthétique, élaborée lentement, éprouvée. Ils semblent s’être partagé les genres littéraires ; et chacun d’eux, docile aux règles du genre, qui sont les corollaires spéciaux d’un idéal universel de la beauté, menait à l’excellence la tragédie, la comédie, l’oraison funèbre, l’épitre ou la fable. Il y avait aussi des irréguliers et des libertins ; mais ils étaient, et quelquefois avec leur talent merveilleux, à leur place d’irréguliers et de libertins. L’on observait une hiérarchie, à laquelle l’avenir n’a pas changé grand’chose. La littérature était gouvernée, et