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tout agité. J’embrasse d’ici la ligne entière des chutes, et je vois fuir le Nil, large de trois cents mètres environ, qui forme la limite naturelle entre le royaume de l’Ouganda et le district de Bousoga. Je suis sur la rive du Bousoga ; en face se dressent les collines admirablement boisées qui forment la rive de l’Ouganda. Les chutes voisines de l’Ouganda, qui étaient masquées tantôt par les îlots intermédiaires, m’apparaissent maintenant dans leur splendide blancheur de neige, ainsi que les rapides qui bouillonnent au-dessous en formant une série d’effroyables tourbillons. Et comme contraste avec tout ce fracas et ce mouvement, surgit en aval un paisible îlot peuplé d’innombrables oiseaux plongeurs qu’on prendrait de loin pour des manchots. Sur la rive de l’Ouganda des indigènes rôdent autour d’un piège à)x>issons. Les trois îlots qui séparent les différentes chutes apparaissent comme des bouquets de verdure, et leur végétation luxuriante est favorisée par l’humide nuage qui monte du gouffre et retombe éternellement en pluie. L’on se convainc sans peine que ces trois îlots sont les derniers vestiges d’un gigantesque muraille rocheuse qui, dans les temps géologiques, barrait la gorge, avant que les chutes Ripon ne fussent les portes du Nil.

Le fleuve à sa naissance est si profondément encaissé entre des rochers, qu’il est impossible de le côtoyer. Voulant poursuivre ma solitaire exploration, je me dirige vers les hauteurs qui se dressent au Nord, et (j’aperçois bientôt, à une demi-lieue plus loin, d’autres chutes dont je n’avais pas tout d’abord soupçonné l’existence. Je domine d’une hauteur de deux cents mètres le gouffre dans lequel le fleuve se précipite par un nouveau bond. Cette seconde cataracte, moins belle et moins haute que la première, forme plutôt un impétueux rapide.

Toujours marchant sur un sol gluant et glissant où il faut s’avancer avec prudence pour ne pas être précipité dans le gouffre béant, je rejoins bientôt un sentier fréquenté par les noirs, qui descend au Nil. J’arrive ainsi à un endroit où le fleuve s’arrondit en une crique aux eaux parfaitement calmes, où se plaisent les plongeurs et autres oiseaux aquatiques. La crique est profonde, et l’eau si claire dans sa transparence glauque, que les rochers du fond se montrent dans leurs moindres détails. Dans les herbes et les roseaux coassent les grenouilles. Les noirs