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collines verdoyantes. Et cet impressionnant tableau se grave en traits inoubliables dans les yeux et dans l’esprit.

Nous descendons dans la direction de la fumée fascinante des cataractes, nous nous avançons sur la péninsule rocheuse qui fait saillie dans le fleuve jusqu’au pied des chutes, et nous nous arrêtons au-dessus des roches plates où les crocodiles viennent habituellement chauffer leur carapace au soleil ; mais aujourd’hui, sans doute à cause de la pluie récente, ils ne se montrent point. Trois îlôts, éblouissantes corbeilles de verdure qu’épanouit une constante humidité, barrent la route au fleuve qui accourt du Nyanza ; mais le fleuve, sans s’arrêter devant l’obstacle, se fraie passage entre les îlots, et forme, d’une rive à l’autre, quatre chutes distinctes. Nous sommes au bas de celle qui s’étrangle entre la rive droite et le premier îlôt. C’est une splendide nappe d’eau verte, tombant de tout son poids, compacte et massive, unie comme une glace, sans aucune ride, s’écroulant avec un fracas étourdissant et une vitesse vertigineuse dans une mer d’écume blanche d’où remonte un éternel nuage de vapeur aux magnifiques nuances d’arc-en-ciel. Les rochers tremblent sous nos pieds, (ébranlés par le tonnerre des eaux. Dans la nappe transparente de la cataracte on voit descendre malgré eux, comme enfermés dans une mouvante prison de cristal, des poissons de toutes tailles qui, plongés dans la mer d’écume, en sortent immédiatement par des bonds désespérés, comme s’ils voulaient retourner vers les eaux placides. Des indigènes, tapis dans une petite grotte sous les chutes, épient les pauvres poissons, et, munis de longs harpons, les capturent avec une dextérité de sauvages. Des vautours, des aigles pêcheurs tracent leurs orbes immenses au-dessus du gouffre bouillonnant et rasent les eaux de leur vol rapide, à l’affût de ces poissons que guettent aussi des cormorans noirs perchés sur les pinacles rocheux.

Pour avoir une vue d’ensemble des chutes Ripon, je propose à mes compagnons de descendre jusqu’au bord du fleuve, mais ils refusent de me suivre dans cette tentative qu’ils considèrent comme périlleuse. Je m’aventure alors seul sur un chemin de casse-cou où il faut sauter de rocher en rocher et franchir de perfides marais. Après quelques inévitables chutes sur les rochers, j’arrive un peu meurtri au point que je visais. Je suis au bord de l’eau. Mes pieds reçoivent le contact du flot encore