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Et il faut se trouver sur place pour apprécier l’heureuse fortune qui favorisa Speke lorsqu’il fit la découverte qui immortalisa son nom. La côte septentrionale du Nyanza est découpée par des centaines de golfes et de criques, mais rien ne peut faire supposer que l’extrémité de la baie Napoléon est le berceau du plus merveilleux fleuve du monde. Aucun courant ne signale le voisinage des chutes Ripon. Et bien que Speke eût la conviction qu’une aussi vaste mer d’eau douce que le Nyanza devait avoir un écoulement, il aurait pu le chercher pendant des années sans le découvrir. Mais le hasard le servit. Comme il pagayait dans ces parages, il remarqua que son canot était importé par un mouvement de dérive, tandis que le bruit lointain d’une cataracte arrivait jusqu’à lui. Et c’est ainsi qu’il atteignit enfin le but poursuivi depuis si longtemps et qu’il eut la gloire de n’soudre le grand problème géographique du XIXe siècle.

Aussitôt que la pluie eut cessé, je me mis en marche, avec deux Italiens rencontrés à bord, vers la gorge dans laquelle s’engagent les eaux du Nyanza pour former le Nil Blanc. Ce n’est qu’après avoir parcouru un kilomètre que nous commençons à percevoir le bruit sourd des chutes. Nous suivons, à travers les hautes herbes, un sentier de noirs, si étroit qu’il faut marcher à la file indienne. Sur ce sentier se voient non seulement les traces des pieds nus des noirs, mais aussi d’énormes empreintes toutes fraîches de pieds d’hippopotames, et aussi des marques non douteuses de pattes de léopards. Ce chemin des chutes est comme un livre ouvert qui éveille des pensées troublantes. Mais voir naitre le Nil vaut bien un peu d’émotion.

Le sol est tout détrempé par la pluie d’orage qui vient de tomber. Une boue rouge et grasse s’attache en))laques épaisses à nos semelles de bottes et embarrasse la marche. Les cigales chantent le retour du soleil après la pluie, et leur triomphal concert nous accompagne tout le long du chemin. Il fait plus frais, l’air est moins accablant, moins saturé de vapeurs et d’électricité. Avant d’atteindre les chutes, il nous faut franchir un plateau. De là nous dominons le lac qui se rétrécit vers le goulet d’où il déverse le trop-plein de ses eaux ; de là nous voyons la fumée blanche qui plane éternellement au-dessus des cataractes ; de là nous voyons le Nil qui vient de sortir du sein du Nyanza prendre sa marche vers le Nord entre de hautes