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au large, avec l’impression que nous sommes en pleine mer. Dans le golfe, les eaux étaient vertes, d’un vert sale ; maintenant elles sont devenues bleues comme celles de l’océan Indien. Une fraîche brise s’élève, comme une brise de mer. Et devant cette immense étendue d’eau qui miroite sous un soleil de feu, je me réjouis d’accomplir ce beau rêve de naviguer sur un lac de l’Afrique équatoriale, à quatre mille pieds au-dessus du niveau de la mer, et le Victoria Nyanza, qui m’avait laissé presque froid au premier coup d’œil, m’émeut maintenant par la magnificence et la grandeur de ses eaux. Car le Nyanza est, après le Lac Supérieur, dans l’Amérique du Nord, la plus grande mer d’eau douce du globe. Sa superficie est deux fois et demie celle de la Belgique.

Nous naviguons en vue de la côte septentrionale du Nyanza, où s’élèvent des collines de 300 à 400 mètres de hauteur, qui trahissent leur origine volcanique par leurs cônes parfaitement réguliers. Au soleil couchant le paysage est d’une fascinante beauté. L’astre descend au milieu de nuages fantastiques, énormes, dont les bords minces rougissent comme de la braise, tandis que les parties épaisses restent d’un noir profond. L’obscurité se fait sans transition. En quelques minutes, la nuit tombe. Et, tout aussi soudainement, voici qu’éclate dans un air lourd et oppressant un de ces quotidiens orages du Nyanza. Le ciel est illuminé dans toutes les directions par de prodigieux éclairs qui se succèdent presque de seconde en seconde, avec une continuité inconnue dans nos climats. De quelque côté qu’on contemple l’horizon, on voit les jets de flamme plonger verticalement dans le lac avec de sinistres grondemens. C’est une scène formidable et grandiose comme tous les phénomènes de la nature équatoriale. Et cependant, ce n’est qu’un orage lointain : le bruit du tonnerre est sourd, affaibli par la distance, et la pluie n’éclate pas. Les mats sont munis de paratonnerres, précaution indispensable, car il n’est pas rare de rencontrer, flottant sur les eaux du lac, les cadavres de troupeaux entiers d’hippopotames frappés par la foudre.

A huit heures du soir le Clement-Hill a jeté l’ancre en pleines eaux du lac. Il serait en effet périlleux de naviguer la nuit sur le Nyanza, qui n’est ni balisé ni éclaire par des phares. Cette mer intérieure est encore si mal connue, que les accidens ne sont pas rares. Il n’y a pas longtemps qu’en plein jour le