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vapeur de cinq cents tonnes, le premier qui navigua sur les eaux du Victoria : il porte le nom du fondateur de l’Afrique oriental britannique, sir William Mackinnon. On se sert encore de ce petit plateau préhistorique lorsque quelque accident met les grands steamers hors de service

Me voici donc à bord du Clement-Hill, magnifique bateau à hélice qui semble de taille à supporter les tempêtes et les orages du Nyanza. Le pont d’une éclatante blancheur, est aussi bien tenu que celui d’un yacht de plaisance. Il y a de petites cabines éclairées à la lumière électrique, et des couchettes munies de moustiquaires, avec des hublots garnis de toiles métalliques contre l’invasion des cousins et de la terrible mouche tsé-tsé, qui est, sur le Nyanza, dans sa patrie. Deux officiers de la marine anglaise commandent des matelots d’un noir d’ébène, qui, chaque matin, sont passés en revue dans leurs blue-jackets. Cuisinier et gens de service sont recrutés parmi les Hindous, qui envahissent même les lacs de l’Afrique centrale. La cuisine du bateau est donc celle de l’Inde, et le ris au carry revient à chaque repas.

A dix heures du matin, nous démarrons, et nous filons à la vitesse de dix nœuds sur les eaux troubles et bourbeuses du golfe de Kavirondo. Ces eaux sont si basses, que l’hélice soulève des tourbillons d’une boue noire, épaisse, dégageant une odeur nauséabonde. La carte ne mentionne que neuf pieds de profondeur. Si le bateau n’était à fond plat, il toucherait fond au premier tour d’hélice. Dans ces eaux vaseuses se plaisent des troupeaux d’hippopotames, qui sortent de l’eau leurs grosses narines. Il arrive aussi que le museau d’un crocodile émerge comme une pièce de bois flottante. Et l’on éprouve un petit frisson à l’idée que c’est dans ces mêmes eaux que se tient le gigantesque serpent d’eau dont partent avec terreur les riverains du Nyanza, et qui est si peu, comme on l’a cru longtemps, un produit de leur imagination, que le monstre vint un jour dérouler ses six mètres d’anneaux visqueux sur le pont du Winnifred, dont le capitaine put le photographier.

Pendant plusieurs heures nous naviguons dans le long golfe de Kavirondo, resserré entre de hautes montagnes abruptes qui sont les dernières ramifications du puissant soulèvement volcanique de l’Afrique orientale. Nous contournons l’île de Rusinga, qui se trouve à l’entrée du golfe, et nous voguons maintenant