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auquel je répondis de même. La plupart circulent armés d’une lance. Au bout d’une heure de marche, j’ai atteint un de ces villages que les indigènes transplantent périodiquement. C’étaient de grossières maisons en boue séchée, carrées, couvertes de chaume, divisées à l’intérieur en plusieurs petites pièces invraisemblablement sales et puantes et dépourvues de tout meuble. Comme jamais blanc ne pénètre dans ces habitations de sauvages, on peut juger de l’ahurissement que causait mon intrusion. Mais, comme j’étais seul et sans armes, je voyais bien que la confiance naissait tout de suite.

Le noir a la crainte instinctive du blanc. C’est que Stanley n’est pas encore oublié sur les bords du Nyanza. De même Emin Pacha, que les noirs ont assassiné par vengeance. Stanley surtout s’est fait hair des indigènes par l’emploi de la force. En revanche, les noirs bénissent la mémoire de Lowett Cameron, car ils se rappellent avec quelle bonté il les traitait. Ils s’expriment sur ce point devant les missionnaires avec une liberté qu’ils n’ont pas devant ceux qui n’ont pas leur confiance. Je n’ai pas oublié, pour ma part, l’appréciation de Cameron, que j’ai connu de près, de plus près que Stanley, qui était un homme impénétrable. Ce héros de l’exploration m’assurait qu’il faudrait plusieurs générations pour effacer chez les noirs le souvenir de la conquête sanguinaire de Boula-Matari. I hâte thaï man ! me criait Mme Cameron. Et il semble que dans ce cri énergique elle se faisait l’écho de la race noire.


V

L’heure est venue de nous embarquer sur le Clement-Hill. Une fois par semaine, ce bâtiment tout neuf fait en trente heures la traversée du Nyanza, de la rive orientale à la rive occidentale. Deux autres bateaux plus petits, le Winnifred et le Sybil, font chaque quinzaine en onze jours le voyage de circumnavigation du Victoria, l’un vers le Nord, l’autre vers le Sud. Ces trois bateaux ont été construits en Angleterre et transportés par sections à Kisoumou. Ils appartiennent à la Compagnie du chemin de fer de l’Ouganda, et le premier fut lancé avant même que ne fût terminé le chemin de fer dont ils constituent le prolongement par eau vers l’Ouganda et le Congo oriental. La flotte de la Compagnie comprend encore un petit