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le sens que nous donnons à ce mot : il avait, il est vrai, tué un autre noir d’un coup de sa lance ; mais, comme il s’était trouvé en état de légitime défense, il en était quitte pour quinze jours de cachot. Nos juges l’eussent justifié et acquitté ; mais on estime, en Afrique, que tout meurtre doit être puni pour l’exemple, afin d’inculquer aux noirs le respect de la vie humaine.

J’ai assisté au repas des prisonniers dans la cour. Ils mangeaient de la soupe aux haricots, des patates douces, du riz et du matanco, sorte de bouillie de maïs. Le matin, on leur donne du porridge. Et j’ai assisté aussi à la rentrée des forçats condamnés à la chaîne et au hard labour. Sous l’escorte d’hommes de la police noire armés d’un fusil et d’un sabre, ils rentrent de leur travail du jour avec des entraves de fer aux pieds, afin qu’ils ne puissent s’échapper dans la campagne. Ces forçats n’ont commis d’autre crime que de n’avoir pas payé l’impôt sur les huttes, ou quelque contravention de simple police. Mais il faut bien, n’est-ce pas ? trouver le moyen d’imposer aux noirs le travail forcé, si l’on veut se procurer gratuitement le bois qui doit alimenter les foyers des locomotives du chemin de fer et des bateaux du Nyanza et si l’on veut avoir des routes construites sans qu’il en coûte une seule roupie. Il est permis toutefois de penser que ce bienfait de la civilisation coûte cher à l’humanité.

Si Kisoumou est envahi par un grand nombre d’Hindous, les noir.sy forment encore le fond de la population. Tandis que les blancs vivent dans de confortables cottages et les Hindous dans des cabanes de tôle, les noirs, eux, habitent dans des huttes moitié chaume, moitié argile, disséminées sur plusieurs points. Ils transportent avec une extrême facilité et sous le plus futile prétexte leurs villages d’un endroit à un autre. Rien de plus pittoresque que de les voir se rendre en foule au marché matinal, circulant, hommes, femmes et enfans, dans la nudité parfaite du paradis terrestre. C’est que nous sommes dans ce pays des Kavirondos. Les gens de l’Ouganda, d’une civilisation plus avancée, désignent avec mépris cette partie de l’Afrique sous le nom de Bukedi, la « terre de la nudité. » Les Kavirondos ont sur ce point des idées différentes de celles des autres populations de l’Afrique. A leurs yeux, la nudité est seule morale, et rien ne saurait vaincre leur répugnance contre les vêtemens qu’ils considèrent comme une cause d’immoralité. Et c’est un fait bien connu que les Kavirondos sont, de tous les peuples de