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d’immense accumulations de traverses métalliques destinées au chemin de Jinja, qui doit unir bientôt le lac Victoria au lac Albert. Et je n’ai pas été peu surpris d’apprendre que ces traverses de fabrication belge reviennent à meilleur marché que les traverses en bois.

Kisoumou, si l’on prend les mesures nécessaires pour relever le niveau du lac, avant dix ans sera le Liverpool de la grande mer intérieure de l’Afrique centrale. L’établissement est de fondation si récente, qu’on n’y trouve pas encore d’hôtel. L’usage est de loger à bord du steamer.

Visitons le village situé sur la colline qui domine la baie. Il y a en réalité trois villages, celui des noirs, celui des blancs et celui des Hindous. Les natifs de l’Inde sont accourus en masse sur les bords du lac Victoria, et l’on voit tout de suite que ce sont eux qui accaparent le commerce. Plus je pénètre au cœur de l’Afrique, plus je suis frappé de ce fait que les noirs sont évincés par les envahissans Hindous. Ce sont eux qui ont fait le chemin de fer, et, depuis lors, ils considèrent l’Afrique. comme leur appartenant : leur village a l’aspect d’un bazar de l’Inde, rue interminable bordée d’une multitude d’échoppes avec, chacune, à l’entrée, un perroquet en cage. Ils vivent dans d’horribles maisonnettes en tôle ondulée, ce qui est, à leurs yeux, le dernier mot de la civilisation.

Les blancs, une centaine environ, occupent la partie la plus élevée de la colline, où ils vivent dans de confortables cottages de style anglais, ombragés par des eucalyptus qu’on a plantés partout sur ce plateau complètement dépourvu d’arbres. Il parait qu’il y avait des arbres autrefois, mais, comme ils attiraient la mouche tsé-tsé, on a complètement déboisé le pays, et ce manque de verdure ôte tout attrait au paysage, qui a l’air aussi désolé qu’un paysage d’Islande.

Le sommet de la colline est occupé par la mission de Mill-Hill, dont le Père Brandsma m’a fait les honneurs. La chapelle est bien pauvre. Une lampe y brûle nuit et jour devant l’autel. Et de voir luire cette petite flamme au bord du lac Victoria découvert de notre temps, j’éprouvais une de ces émotions qu’on ressent plus vivement dans une humble chapelle de l’Afrique que dans nos somptueuses cathédrales : il me semblait, tandis que je méditais dans la solitude du sanctuaire qu’envahissait la nuit, voir grandir cette petite flamme, grandir au