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monts lointains, c’était un lac de Finlande dont il avait toute la mélancolie. Au centre du lac surgit, étrange et imprévue, une île en forme de croissant, qui n’est autre qu’un cratère volcanique à demi submergé. Les eaux du Naivasha sont trop froides pour les crocodiles, mais elles attirent des légions d’hippopotames. Elles sont aussi le rendez-vous d’innombrables oiseaux sauvages. Ses rives sont giboyeuses, et nous y retrouvons les antilopes, les élans, les zèbres. Le climat de ce pays de chasse est un des plus beaux et des plus frais de l’Afrique. Les collines, les bois rappellent absolument nos paysages du Nord, et ainsi s’explique que les noirs n’y viennent guère.

Je grelotte encore rien que de penser à ma deuxième nuit en chemin de fer. J’eus beau m’enrouler dans une double couverture de laine, je me serais cru en Sibérie plutôt qu’en Afrique. C’est que nous étions au point culminant du territoire s’étendant de la côte orientale d’Afrique au lac Victoria. Et puis, la voiture de première classe venait immédiatement derrière la machine, en sorte que chaque coup de sifflet me réveillait quand je commençais à dormir.

Au point du jour, nous sommes du côté occidental du mont Mau, dans une large vallée où croissent des euphorbes géans. C’est le pays des belliqueux Nandis, où les Anglais eurent fort à faire pour soumettre les indigènes. Puis nous entrons dans le pays plat du Kavirondo où vit une nombreuse population de noirs adonnés à l’agriculture et à la vie pastorale. En moins d’une heure, la température a changé, comme par enchantement. À la fraîcheur des montagnes a succédé l’humide chaleur des tropiques. C’est que nous sommes déjà dans la sphère d’influence de la serre chaude qu’est le Victoria Nyanza, dont on peut, du haut des montagnes, voir miroiter l’immense nap) »e comme une mer lointaine.

Et le train nous dépose enfin au terminus du chemin de fer de l’Ouganda, à la station au joli nom indigène de Kisoumou, auquel sir Clément Hill a voulu substituer le nom européen de Port Florence, non pas, comme on pourrait le croire, en l’honneur de la ville qu’immortalisa Dante, mais par galanterie pour sa femme qu’il voulut immortaliser.