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de l’entonnoir. En quelques minutes, nous arrivons à Kijabe, ayant dévalé de 200 mètres sur un parcours de 10 kilomètres. Puis la descente continue jusqu’à Nakourou, qui n’est plus qu’à 1 800 mètres d’altitude, en sorte que sur un parcours de 100 kilomètres, on descend de 450 mètres.

Mais ce n’est là qu’un recul pour mieux sauter. Car à peine a-t-on atteint le fond de l’entonnoir, qu’on aborde une nouvelle ascension de 700 mètres sur un parcours de 60 kilomètres, pour gagner le sommet du mont Mau, à 2 530 mètres au-dessus du niveau de la mer. Et ainsi la locomotive franchit, sur un parcours de 100 kilomètres, la gorge énorme du Rift, qui s’ouvre entre le plateau de Kikouyou et l’escarpement de Mau. Le fond de cette gorge, dont l’élévation est variable, contient des soulèvemens et des dépressions, des montagnes et des lacs, et l’on ne se rend réellement compte de sa nature de vallée que lorsqu’on la voit d’en haut : alors les forêts paraissent des prairies et les lacs des flaques d’eau, tant on se méprend sur les proportions des choses.

Quand la voie atteint le bord du plateau de Kikouyou, le paysage est un des plus saisissans et aussi des plus prestigieux qui soient au monde. Qu’on s’imagine un plateau finissant brusquement par une muraille à pic, comme si la terre manquait sous les pieds. Cette muraille est l’escarpement de Kikouyou, qui court parallèlement à l’escarpement de Mau. Tandis que le train descend par d’interminables lacets le long du rocher, cette grandiose vallée du Rift se découvre, baignée de soleil, à une incommensurable profondeur, à travers les couches de l’atmosphère ; et il semble que c’est du haut d’un ballon qu’on distingue les bizarres collines volcaniques et les cratères brisés qui rompent l’uniformité de la vallée. Et le regard se perd bien loin, sur le gigantesque écran brumeux que forme la paroi de l’escarpement de Mau.

Parvenus enfin au fond du grand Rift, nous atteignons les bords du lac de Naivasha, la seule nappe d’eau douce parmi les nombreuses nappes d’eau salée qu’on rencontre dans cette vallée extraordinaire. Ce lac qui, vu du haut du plateau, semblait n’être qu’un débris de miroir, a quatre lieues de long. C’est un lac des Alpes transporté au cœur de l’Afrique, à 1 860 mètres d’altitude. Ou plutôt, tel que je l’ai vu par un ciel sombre et morose, à l’heure où le soleil lançait un rais d’or sur les