Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/683

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grands arbres se penchent d’une façon menaçante au-dessus de la voie, les plantes rampent dans les tranchées, le sol se cache sous l’orgie de fleurs et de feuilles qui envahissent les remblais. Sans le soin continuel avec lequel la voie est entretenue, elle disparaîtrait bientôt sous l’irrésistible poussée de la forêt, et elle serait enfouie en peu de temps sous une végétation telle qu’il faudrait organiser une expédition pour en reconnaître la place.

C’est dans les forêts que se trouve l’inépuisable réserve de combustible. C’est là qu’on fait du bois pour les locomotives du chemin de fer, à l’approvisionnement duquel sont employées des armées de noirs travaillant à la pièce. Si on les recrute facilement, il n’est pas aussi aisé de les conserver. Le noir se fatigue vite du travail, et l’appât du salaire ne le retient pas longtemps. Rares sont ceux qui consentent à travailler pendant plus d’un mois, quels que soient les avantages qui leur sont offerts. A peine commencent-ils à acquérir l’habileté du métier, qu’ils retournent dans leur village pour cultiver leur jardin, promettant vaguement qu’ils reviendront après la moisson ou à quelque autre date indéterminée. Et, dans l’intervalle, le chemin de fer doit être alimenté. Ces sauvages piochent au pied des arbres sans autre instrument que leur petite houe. Quand la charge est complète, ils la transportent sur la tête jusqu’à ces immenses empilemens de bois qui dans chaque station couvrent jusqu’à un hectare de superficie.

Tout est étrange dans les caprices de la nature sur cette terre d’Afrique, jusqu’à la brusquerie avec laquelle la forêt prend fin. Sans aucune transition, la prairie succède à la sylve ; il n’y a pas, comme on pourrait s’y attendre, une région intermédiaire d’arbres clairsemés. C’est donc soudainement que nous sortons de la forêt humide et fraîche, et que nous débouchons sur un plateau ensoleillé où renaît la chaleur de l’équateur au milieu d’une nature alpestre. A l’horizon surgissent des cimes de plus de 3 000 mètres, comme le mont Sousoua, qui domine une mer de verdure. Nous dépassons Escarpment Station, à 2 250 mètres d’altitude. Et soudain, au bout de ce plateau, l’œil plonge à pic dans une profonde vallée qui surpasse en grandeur et en imprévu tous les paysages de la Suisse. C’est un large bassin de verdure tropicale entouré de tous côtés de monts et de rochers, et comme ces rochers sont à pente excessivement rapide, c’est ; i une effrayante vitesse (que le train descend au fond