Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

culotte bouffante, chapeau mexicain, jambes nues. Beaucoup de Boers : on les reconnaît tout de suite à leur saleté proverbiale, à leur barbe patriarcale et à leur pipe légendaire. J’accoste l’un d’eux et lui adresse la parole dans la langue de ses ancêtres : mais nous ne nous comprenons qu’à demi, car les Boers transforment le hollandais au point que « parler » se dit praten pour spreken.

Après un mauvais déjeuner dans une salle de la gare, je remonte en voiture, où je trouve trois Anglais qui, pendant mon absence, se sont installés commodément et ont encombré de leurs bagages le compartiment où j’étais seul depuis Mombasa. Je me console par la vue du paysage dont l’intérêt s’accentue.


III

Si merveilleuse que soit la contrée que parcourt la ligne entre Mombasa et Nairobi, celle qui s’étend entre Nairobi et le lac Victoria la surpasse encore par (l’imprévu du paysage. C’est dans cette partie du trajet que le chemin de fer franchit, précisément au point le plus remarquable, cette fameuse fente de la croûte terrestre que les géologues désignent sous le nom de Rift, une des plus gigantesques dépressions du globe, s’étendant sur une longueur de plus de 1 500 lieues, à travers les terres et les mers, depuis la Palestine jusqu’au lac Nyassa, semée d’une multitude de volcans actifs ou éteints et de lacs salés ou saumâtres, dans lesquels on a cru voir les vestiges d’un ancien bras de mer qui faisait de l’Afrique orientale actuelle une autre Madagascar.

Par une longue succession de courbes et de lacets, nous montons vers le premier Escarpment, qui se dresse à 600 mètres au-dessus du plateau d’Athi. La voie serpente au milieu des splendeurs de la forêt vierge, dont les arbres immenses sont étouffés sous un inextricable fouillis de lianes et de parasites. Je ne me lasse pas d’admirer les énormes feuilles des arbres les plus rapprochés. C’est la nature tropicale qui triomphe à 2 000 mètres d’altitude, c’est l’Afrique dans sa primitive beauté. Mon enthousiasme laisse parfaitement froids mes Anglais qui, au lieu de contempler les magnificences du paysage, sont plongés dans la lecture des journaux de Nairobi. Et pourtant, il faut aller jusqu’à Java pour voir une semblable voie ferrée. Les