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observer, ou des animaux dont foisonne le plateau d’Athi, ou des hommes, presque aussi sauvages que les animaux, qui, à chaque station, accourent en foule pour voir passer le train avec la curiosité enfantine des noirs. Ces étranges tribus africaines nous observent en silence ou parlent entre elles des idiomes bizarres. Leurs corps sont couverts de tatouages aux dessins artistiques et compliqués. La palme de la beauté esthétique revient aux Massaïs, dont l’allure martiale révèle un peuple aux instincts guerriers. Voici les Taïtas, portant leur arc et leur carquois de flèches empoisonnées. Leur denture est limée en pointes aussi aiguës que les dents d’une scie, coutume qui date probablement du temps où ils avaient des mœurs d’anthropophages. Voilà les Kikouyous, qui se percent le lobe de l’oreille et élargissent l’ouverture jusqu’à lui donner des dimensions telles qu’ils peuvent y introduire une jatte en porcelaine ou un cercle en os plus grand qu’un bracelet ; pour les jeunes dandys, c’est le comble de l’élégance d’y suspendre une ou deux douzaines de larges anneaux de perles. Parfois le lobe se casse à force de tension, et alors les deux morceaux rompus pendent lamentablement sur l’épaule. Les hommes portent tout un arsenal de lances et de casse-tête qui leur servent à se défendre contre les fauves. D’autres ne se séparent jamais de leur attirail d’ustensiles de ménage, l’escabeau sur lequel ils s’assoient pour faire leurs repas, la calebasse dans laquelle ils boivent l’eau du ruisseau, la demi-calebasse qui leur sert d’assiette. Chaque tribu se reconnaît à la façon spéciale de se vêtir et de se coiffer. Les uns se drapent fastueusement dans leurs cotonnades imprimées, d’autres n’ont pour tout vêtement qu’un morceau d’étoffe noué autour des reins, d’autres jettent sur leurs épaules une couverture qui ne couvre jamais ce que, d’après nos principes, elle devrait couvrir tout d’abord. Et il en est, comme les Kavirondos, qui, sans distinction de sexe, se promènent dans les gares sans autre vêtement que le collier de perles qui pend à leur cou et les anneaux qui enserrent leurs chevilles.

Le train fait un long arrêt à Nairobi, capitale de l’Afrique orientale anglaise. Là réside le gouverneur, qui a échangé récemment l’écrasant climat de Mombasa contre l’air vif et frais d’une attitude de 1 660 mètres. La gare surgit au milieu de plantations d’eucalyptus. Je m’amuse de voir des types de trappeurs vêtus du costume des pays neufs, chemise de flanelle,