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de ses lionceaux ; elle s’éloigne sans effarement, se retournant de temps en temps vers sa progéniture, et quand elle disparait enfin dans les hautes herbes, la vision rapide se grave dans les yeux en traits inoubliables. La coutume a disparu d’arrêter le train pour procurer aux voyageurs la fièvre d’une chasse au lion et le plaisir de rapporter triomphalement la bête abattue.

Les lions sont toujours la terreur des travailleurs du chemin de fer, qui se souviennent du drame connu dans toute l’Afrique orientale, de Mombasa à la frontière du Congo. Par une étrange coïncidence, le fait se passa à la station qui porte le nom de Simba, lequel signifie « lion » dans la langue de l’Afrique comme Singa dans la langue de l’Inde.

Un vieux lion qui avait pris goût à la chair humaine avait dévoré coup sûr coup plusieurs indigènes employés aux travaux de la voie. Et, comme il rôdait tous les jours autour de la gare, trois chasseurs de profession, un Allemand et deux Anglais, voulurent en finir avec cet hôte dangereux. La gare ne leur offrant pas d’installation suffisante, ils ne trouvèrent rien de mieux que de passer la nuit dans un wagon. L’un des Anglais devait veiller sur le plancher, pendant que les autres dormaient, l’Allemand sur la couchette supérieure, l’Anglais sur la banquette. Au milieu de la nuit, les deux dormeurs sont réveillés par le bruit d’une lutte sur le plancher. L’obscurité est profonde. Aucun d’eux n’a la présence d’esprit de frotter une allumette. Dans le désordre de la lutte, la porte se ferme. Dressés sur leurs couchettes, les deux hommes réveillés, muets de terreur, voient se dessiner sur la faible clarté du dehors les formes de leur visiteur nocturne au moment où il se précipite par la petite fenêtre s’ouvrant au haut de la porte, emportant le corps inanimé de leur compagnon. Quelques restes épars furent tout ce qu’on en retrouva le lendemain. Le malheureux veilleur s’était probablement endormi à son poste, et le lion affamé l’avait attaqué par surprise. Les vieux lions, qui ne savent plus poursuivre l’agile antilope, sont friands de chair humaine. Et ce qu’il y a de plus étonnant dans cette extraordinaire aventure, c’est qu’un vieux lion chargé de sa proie ait pu bondir par une aussi étroite fenêtre. Et pourtant l’histoire est authentique, et les deux témoins du drame vivent aujourd’hui paisiblement à Nairobi.

Je ne sais vraiment ce qu’il y a de plus intéressant à