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cette réserve ne peut être violée par personne. Toutefois, lors de son très retentissant voyage cynégétique en Afrique, M. Roosevelt se vit gracieusement offrir, à titre exceptionnel, la faculté de chasser dans la réserve ; il eut le bon goût de ne pas vouloir enfreindre la règle commune.

Mais voici que les réserves de gibier ont soulevé des protestations qui ont eu leur écho jusque dans l’enceinte du parlement anglais. Il paraît que les dégâts commis par les éléphans causent de grands dommages aux cultures. Mais, ce qui est plus grave, c’est que le gibier semblerait favoriser la multiplication de la mouche tsé-tsé, et par suite l’éclosion de la maladie du sommeil. On a observé en effet que la tsé-tsé abonde et que la maladie du sommeil sévit particulièrement dans le voisinage des réserves de gibier. Missionnaires, commerçans et fermiers réclament unanimement des mesures pour la destruction du gibier et se plaignent du maintien des réserves à proximité des districts à population dense. Le jour est donc peut-être proche où le chemin de fer de l’Ouganda cessera d’être le rendez-vous de toute la faune africaine. Qu’ils se hâtent donc, ceux qui veulent se rassasier les yeux d’un spectacle unique au monde !

Le rhinocéros au nez cornu, tout antédiluvien qu’il est, aime à rôder le long du chemin de fer de l’Ouganda, et comme il considère la voie ferrée comme son domaine, il ne se dérange nullement à l’approche de la locomotive. Chaque fois que le train ralentit et que vous entendez le machiniste siffler éperdument, soyez sûr qu’un de ces pachydermes se promène entre les rails le plus philosophiquement du monde. Il a d’ailleurs si mauvaise vue, qu’il n’a pas l’air de se douter de la présence du train. C’est dans ces parages que M. Winston Churchill, aujourd’hui premier lord de l’Amirauté, tua un rhinocéros en 1908. Rien n’est plus simple que cette chasse. On s’approche de l’animal aussi près que possible, en ayant soin d’éviter le côté du vent, car s’il a de mauvais yeux, le rhinocéros a le flair très développé. C’est à la tête ou au cœur qu’il faut l’atteindre, sinon il charge aveuglément et avec une irrésistible furie.

Parmi les émotions de ce voyage plein d’imprévu, il n’en est pas de plus saisissante que celle qu’on éprouve quand, au lieu du menu gibier d’antilopes ou de gazelles, on voit s’enfuir à travers la prairie, en faisant de larges bonds avec une grâce et une agilité toutes félines, une lionne au pelage sombre, entourée